escalier de couleur

Culture du don à la Française – Interview avec Arthur Gautier de l’ESSEC

Publié le 15.06.2021

"Il est important que le don populaire se maintienne si l’on veut éviter que la philanthropie ne devienne l’apanage des seules catégories les plus aisées ! [...]"

Interview de Arthur Gautier, Directeur général de la Chaire Philanthropie de l’ESSEC Business School sur les motivations du don, la culture du don à la Française : Quelles sont les motivations du don ? Qu’est-ce qui peut motiver les gens à donner régulièrement et à long terme ? Est-ce qu’il y a une culture française du don et si oui, quelles sont ses spécificités ? Découvrez également les conseils d’Arthur Gautier pour les discours envers vos donateurs.

 

1. Quelles sont les motivations du don ?

Motivation versus comportement : 

C’est une question passionnante et les motivations sont nombreuses et souvent entremêlées. Commençons d’abord par définir ce qu’est la motivation, en psychologie : une force interne à l’individu qui permet d’expliquer l’intensité, la direction et la persistance du comportement. Dans le cas qui nous intéresse, le comportement sera le don d’argent à des organisations d’intérêt général.

Il est impossible d’observer la motivation, mais on peut observer le comportement d’une personne et lui poser des questions afin d’en déduire ce qui le motive à agir ainsi. De nombreuses études en psychologie, en économie, en sociologie, en marketing ou en neurosciences, reposant notamment sur des méthodes expérimentales, ont cherché à comprendre pourquoi les gens donnent. Il existe une littérature foisonnante sur le sujet mais encore méconnue du grand public.

Trois grandes familles de motivation : 

Pour résumer, la recherche nous enseigne qu’il y a trois grandes familles de motivations du don, avec pour chacune des catégories plus précises.

  • 1. L’altruisme

La première, c’est l’altruisme : je donne par souci de l’autre, pour améliorer son sort, sans rien attendre en retour pour moi. Parmi les motivations altruistes, on peut distinguer une approche « émotionnelle », où l’on donne par empathie pour les personnes en difficulté (cf. les travaux du psychologue Daniel Batson sur l’empathie-altruisme), et une approche « cognitive » où l’on donne par souci d’efficacité, pour aider le plus grand nombre ou pour avoir un impact positif maximal (cf. l’altruisme efficace promu par le philosophe Peter Singer).

  • 2. L’égoïsme

La seconde famille, c’est l’égoïsme : je donne pour mon propre intérêt, pour obtenir des bénéfices ou éviter des coûts pour moi-même. Moralement répréhensible et souvent inavoué, l’égoïsme est pourtant l’un des moteurs du don, du moins dans certaines circonstances. La recherche montre que l’on peut donner en vue d’obtenir des récompenses ou d’éviter des sanctions de trois ordres : matérielles (je donne pou obtenir un cadeau en contrepartie, pour payer moins d’impôts), psychologiques (je donne pour me sentir mieux, pour avoir une meilleure image de moi, pour ne pas me sentir coupable) et sociales (je donne pour montrer aux autres que je suis généreux, pour avoir bonne réputation, pour ne pas paraître radin).

  • 3. Le respect de normes sociales et principes moraux

Enfin, la dernière famille de motivations n’est tournée ni sur le bien-être d’autrui, ni sur le sien, mais vers des normes sociales et des principes moraux supérieurs que nous nous sentons obligés de respecter : je donne pour rendre ce que j’ai reçu (cf. la norme sociale de la réciprocité), pour rétablir une forme de justice, pour incarner mes croyances religieuses, les valeurs qui me sont chères ou qui m’ont été transmises. Bien sûr, ces normes et principes sont souvent contraignants socialement et on peut alors retomber dans des motivations égoïstes (ex : je donne pour être jugé comme un bon croyant, pour gagner ma place au paradis), mais le respect de ces normes et principes supérieurs peut être un puissant moteur du don, indépendamment des conséquences pour soi ou les autres.

 

2. Qu’est-ce qui peut motiver les gens à donner régulièrement et à long terme ?

On peut distinguer plusieurs « qualités » de motivation et ne pas simplement raisonner en quantités (cf. être plus ou moins motivé). Edward Deci et Richard Ryan, les pères de la self-determination theory en psychologie, ont notamment opposé la motivation intrinsèque (l’activité en soi est une source de satisfaction) et la motivation extrinsèque (l’activité est effectuée en vue d’obtenir un résultat extérieur à l’activité). Or, dans des centaines d’expériences réalisées depuis 1971, il a été démontré qu’offrir une récompense tangible (en particulier de l’argent) à un individu pour réaliser une activité qui l’intéresse avait tendance à saper sa motivation intrinsèque. De même, d’ailleurs, que le menacer d’une sanction en cas d’échec.

Pourquoi ? Parce que l’introduction d’une récompense vient corrompre la valeur qu’a l’activité à ses yeux et l’individu ne se sent plus autonome dans son activité mais « contrôlé » par la récompense qui y est attachée. Certes, à court terme, une incitation monétaire peut stimuler l’activité mais l’effet se dégrade rapidement avec le temps : manque d’énergie, moindre effort, puis abandon de l’activité. A l’inverse, expérimenter une forme intrinsèque de motivation est source de persistance dans l’activité, de performance et de bien-être à long-terme. Les implications de ces découvertes ont été nombreuses, que ce soit dans l’éducation, le sport de haut niveau ou la gestion des entreprises…

Je pense que c’est aussi vrai pour le don. Les récompenses tangibles offertes aux donateurs, comme les cadeaux ou les réductions d’impôts, risquent donc de saper leurs motivations intrinsèques à donner en les remplaçant par une forme de motivation extrinsèque. Si elles peuvent doper les dons à court terme, ces récompenses ne permettent pas à elles seules le développement d’un engagement à long terme des donateurs – ce qui se vérifie lorsque les incitations fiscales baissent ou disparaissent ! Se focaliser sur l’argument fiscal peut donc être contre-productif. Les donateurs peuvent avoir l’impression que leur geste est dévalorisé, qu’ils ne donnent pas librement en faveur d’une cause mais pour éviter la contrainte fiscale. Cela suggère que les donateurs sont principalement motivés par l’économie d’impôt réalisée, ce qui est réducteur et nourrit des discours du soupçon assimilant le don à une « niche fiscale ».

3 conseils pour motiver vos donateurs

Pour encourager les Français à devenir des donateurs réguliers et engagés à long terme, les organisations d’intérêt général doivent se détourner des seuls discours portant sur les avantages offerts aux donateurs (cf. « effacez votre impôt avec votre don ! ») pour :

  • Encourager le don, donner du feedback positif et démontrer l’impact de son action permet de valoriser la compétence du donateur.
  • Valoriser la liberté et la responsabilité du donateur de soutenir une cause importante (sans le culpabiliser…) permet de valoriser son autonomie.
  • Créer une vraie communauté relationnelle avec les bénéficiaires, les équipes de terrain et les autres donateurs permet de valoriser son sentiment d’appartenance.

 

3. Est-ce qu’il y a une culture du don à la Française et si oui, quelles sont ses spécificités ?

Les différentes familles de motivations évoquées ci-dessus sont « universelles », dans le sens où elles concernent la psychologie de l’être humain et les règles sociales qui régissent la vie en société, de manière générale. Néanmoins, il y a bien sûr des variations significatives entre les différentes sociétés humaines en fonction de leurs spécificités culturelles, de leur histoire, de leur régime politique, de leurs règles de vie en société, du dynamisme de leur économie…

Plus forte culture du bénévolat que du don

En ce qui concerne la France, il y a quelques aspects qui la distinguent de ses voisins européens et des autres pays pour lesquels des données existent. Nous sommes plutôt un pays « de milieu de tableau » dans les comparaisons internationales : si nous avons une très forte culture du bénévolat (16 millions de Français sont bénévoles, nous avons plus d’1,5 millions d’associations dont la grande majorité vit uniquement de l’engagement de ses bénévoles), c’est moins vrai pour le don financier qui est moins répandu que dans les pays anglo-saxons ou du nord de l’Europe (les dons pèsent environ 0.35% du PIB en France contre 0.8% aux Pays-Bas, 0.85% au Royaume-Uni et plus de 2% aux Etats-Unis).

Des dons « invisibles » parmi la culture du don à la Française

Une grande partie des dons est aussi « invisible » car en France, on n’aime pas parler d’argent, y compris l’argent que l’on donne aux autres – c’est le cas aussi dans les autres pays de tradition catholique du Sud de l’Europe. Il y a aussi peu de fondations rapporté au nombre d’habitants, quand on compare la France à ses voisins comme l’Allemagne, la Suisse ou la Belgique.

Mais une accélération du développement de la générosité

Néanmoins, la tendance à la hausse est nette et constante depuis une vingtaine d’années, si bien que la France rattrape petit à petit ses homologues.

La loi sur le mécénat de 2003 a été un accélérateur pour le don des particuliers et des entreprises, le fundraising est de plus en plus professionnalisé, les Français sont de plus en plus sollicités… Le volume des dons et le nombre de fondations augmentent. Certes, il y a eu quelques années difficiles comme en 2018, mais les Français ont répondu positivement et massivement à la mobilisation nationale pour reconstruire Notre-Dame de Paris ou pour la recherche et l’aide aux soignants face à la crise du Covid-19.

Des causes soutenues en complément du périmètre d’action de l’Etat

Globalement, les causes qui mobilisent le plus les Français sont l’exclusion et la pauvreté, l’enfance et la recherche médicale. Ce sont des domaines où de grandes organisations d’intérêt général connues du grand public jouent un rôle majeur dans notre pays, sur des pans d’activité où l’action de l’Etat n’est pas considérée comme suffisante ou exclusive. C’est bien différent dans d’autres pays, en fonction de la nature du contrat social et du périmètre d’action de l’Etat.

Importance des « petits » dons

Un point de vigilance reste à surveiller, sensible depuis la crise financière de 2008-2009 : les dons déclarés par les Français sont de plus en plus concentrés parmi les plus hauts revenus, alors que les plus modestes semblent devoir renoncer à donner pour boucler les fins de mois… Il est important que le don populaire se maintienne si l’on veut éviter que la philanthropie ne devienne l’apanage des seules catégories les plus aisées !

 

Merci à Arthur Gautier, Directeur général de la Chaire Philanthropie de l’ESSEC Business School pour cette interview !

photo_arthur Gautier - culture du don à la francaise

 


Pour recevoir toutes les actualités de la générosité, inscrivez-vous à notre newsletter en cliquant ici : Inscription Newsletter France générosités.

Retrouver également les autres ressources de la Chaire Philanthropie de l’ESSEC ici : Livre “Vers une philanthropie stratégique ?” / le Podcast de la Chaire

escalier de couleur inversé