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Réseau mondial WINGS – 3 questions à Benjamin Bellegy

Publié le 19.05.2021

Pouvez-vous présenter WINGS et ses particularités ? Quelle est votre vision de la philanthropie à la française ? Vous venez de lancer le programme global soutenu par l’Union Européenne « Libérer le potentiel de la philanthropie », quels en sont les enjeux ?

France générosités a rejoint début 2021 le réseau philanthropique international WINGS. Vous pouvez retrouver l’article de Laurence Lepetit, déléguée générale de France générosités, à ce propos en cliquant ici : “France générosités a rejoint le réseau WINGS“. Pour l’occasion, nous avons voulu poser 3 questions à Benjamin Bellegy, directeur exécutif chez WINGS.

 

Pouvez-vous présenter WINGS et ses particularités au sein du secteur de la philanthropie internationale ?

WINGS est un réseau qui a une mission unique et passionnante : celle de développer la philanthropie dans le monde, sous toutes ses formes, en connectant et renforçant le travail de centaines d’organisations telles que France générosités, qui promeuvent le secteur sur tous les continents. L’objectif est à la fois d’améliorer les conditions et l’environnement légal, culturel, opérationnel, pour faire croître les ressources privées pour le bien commun, mais aussi d’améliorer leur efficacité et leur impact. Nous regroupons aujourd’hui 180 membres dans près de 60 pays qui servent et représentent près de 100 000 acteurs philanthropiques.

Notre théorie du changement se fond sur plusieurs croyances : premièrement la philanthropie appartient à tous et constitue un liant essentiel de la fabrique sociale et démocratique. Le potentiel pour faire grandir les dons des classes moyennes, la philanthropie communautaire ou territoriale, la philanthropie institutionnelle d’entreprises ou d’individus et familles à haut patrimoine, est très important partout dans le monde, notamment dans les pays dits émergents tels que la Chine ou l’Inde. Et tous les pays ont des traditions anciennes de solidarité et de générosité. D’après Charities Aid Foundation, rien que les dons des classes moyennes grandissantes dans les pays émergents pourraient générer 320 milliards de dollars par an pour la société civile d’ici 2030 si les bonnes conditions favorables sont réunies.

Il existe de nombreuses barrières qu’il est possible de faire tomber si le secteur s’organise. Il s’agit de créer un écosystème d’acteurs qui travaillent, ensemble, à améliorer l’environnement et créer un terreau fertile pour les dons et investissements sociaux privés : réseaux de fondations et donateurs, think-tanks et centres de recherche spécialisés, plateformes de collaboration, plateformes de dons en ligne, et bien sûr fondations elles-mêmes qui investissent dans cet écosystème et jouent parfois directement un rôle dans le renforcement collectif du secteur. Ensemble, ils contribuent à combattre les restrictions qui se multiplient aux quatre coins du monde, à mieux informer les décisions des donateurs et fondations pour une meilleure allocation des ressources, à construire des ponts avec d’autres acteurs tels que les gouvernements et les acteurs privés pour créer des synergies et permettre aux solutions locales d’être mises a l’échelle et d’influencer politiques publiques et marchés.

WINGS offre un espace pour rassembler ces acteurs d’appui à la philanthropie au niveau mondial, pour permettre des échanges d’idées, de nouvelles collaborations, pour comprendre les évolutions du secteur et influencer les pratiques, et promouvoir le développement de la philanthropie auprès d’autres acteurs globaux tels que les institutions multilatérales de développement, l’OCDE, les Nations Unies, etc.

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Quelle est votre vision de la philanthropie « à la française » dans le paysage philanthropique international ?

Le mot qui me vient à l’esprit est dynamisme. Avant de rejoindre WINGS en 2016 et de m’installer à Sao Paulo au Brésil où se trouve son siège, j’étais responsable des programmes internationaux à la Fondation de France. J’ai pu observer le rapide développement du secteur mais aussi sa capacité d’innovation. Par exemple les fondations européennes et françaises ont un enclin naturel pour travailler sur le long terme et s’associer avec les pouvoirs publics pour régler des problèmes de société. C’est une qualité qui manque au secteur aux Etats Unis par exemple où les fondations ont tendance à agir en parallèle à l’Etat. L’environnement légal est aussi un des plus favorables au monde depuis la réforme de 2003 qui a eu des répercussions très positives.

Pour revenir à cette idée d’écosystème de soutien au secteur, dans mon nouveau rôle à WINGS j’ai pu constater avec le recul que le paysage français est particulièrement dynamique et innovant sur ce plan. Tout d’abord avec une variété d’acteurs très actifs dont certains ont des modèles originaux que je n’ai pas retrouvés ailleurs, notamment la forme syndicale choisie par France générosités, qui est à ma connaissance une première mondiale. Je pense également au format hybride de la Fondation de France, sorte de fondation communautaire à l’échelle nationale mais qui joue aussi un rôle d’appui au secteur. Je me réjouis, enfin, de trouver un véritable élan de collaboration parmi les acteurs qui soutiennent le développement de la philanthropie en France à travers des initiatives telles que la Coordination Générosité (France générosités, Mouvement Associatif, CFF, Institut Idéas, Le Don en Confiance, AFF, IDAF, ADMICAL, LEPC).

En revanche, comme pour la société civile plus largement, notamment le monde des ONG, la philanthropie française pourrait être plus engagée au niveau international pour partager sa vision, les valeurs qui la guident et ses innovations. Le secteur reste très dominé par un narratif anglo-saxon alors que beaucoup d’acteurs émergents sont à la recherche de modèles et d’approches différents mieux adaptés à leur réalité locale. Il y a aussi des rapprochements possibles dans le monde francophone en termes d’échanges d’idées et de collaboration. Les secteurs philanthropiques des pays francophones où le secteur est déjà bien institutionnalisé pourraient soutenir le renforcement d’écosystèmes qui restent très embryonnaires en Afrique de l’Ouest ou dans les Caraïbes par exemple et ainsi contribuer au développement de ressources locales durables à même de renforcer les sociétés civiles de ces pays. Les ONG françaises agissant à l’international pourraient elles aussi œuvrer dans ce sens afin de limiter la dépendance de leurs partenaires locaux et de contribuer à localiser les ressources qui doivent permettre d’atteindre les objectifs de développement durable et de répondre à la crise multidimensionnelle du Covid-19. WINGS a mis en place des outils et approches pour renforcer les écosystèmes philanthropiques locaux et nous sommes à disposition des bailleurs, fondations et ONG français qui souhaiteraient explorer ce type de processus.

 

Vous venez de lancer le programme global soutenu par l’Union Européenne (Devco) « Libérer le potentiel de la philanthropie », quels en sont les enjeux ? Comment France générosités peut-il y contribuer ?

Un des plus grands défis au niveau global est la restriction de l’espace civique et philanthropique. Il s’agit d’une tendance de fond qui affecte le nord comme le sud depuis une dizaine d’années. International Center for Non Profit Law estime que près de 70% des nouvelles réglementations mises en œuvre ces dernières années dans le monde restreignent la philanthrope au lieu de la soutenir. Il est désormais quasiment impossible de transférer des fonds étrangers à des ONG en Inde, ce qui pose des problèmes immenses dans un contexte de crise sanitaire aiguë comme nous le voyons aujourd’hui. Même en France, le débat sur la territorialité du don montre que la générosité internationale est en danger. Le secteur philanthropique est touché à la fois directement par ces restrictions, et indirectement via les contraintes et parfois persécutions que leurs partenaires rencontrent sur le terrain.

Malgré ce contexte, notre secteur tarde à s’organiser au niveau global. Même si une majorité des politiques se décident au niveau national, une action internationale est critique, notamment sur la régulation des flux financiers internationaux. Si les donateurs et fondations se sont progressivement organisés au niveau national dans certains pays, nous sommes probablement la seule “industrie” au monde à ne jamais avoir créé une institution de défense et de promotion de ses intérêts à l’échelle internationale. Même les dentistes ont une équipe de 25 personnes à Washington qui promeuvent des politiques favorables à leur métier. Pas la philanthropie alors que les seules fondations sont assises sur un capital d’au moins 1,5 trillion de dollars ! Du moins ce n’était pas le cas jusqu’à ce que WINGS se saisisse de cette question et commence à jouer ce rôle avec des moyens très limités depuis 2017. L’Union Européenne qui est préoccupée par cette tendance de rétrécissement de l’espace civique et qui croit dans le potentiel de la philanthropie de contribuer aux ODD a décidé de soutenir notre effort. Ce programme va nous donner les moyens au cours des deux ans qui viennent de développer des positions collectives en faveur de la générosité, notamment sur les questions de dons transfrontaliers. Il va également nous permettre de renforcer les capacités de nos membres à promouvoir le secteur dans leur propre contexte local, en particulier en Afrique sub-saharienne et dans d’autres régions où les besoins sont particulièrement importants. Le programme vise également à documenter les bonnes pratiques du secteur et proposer des principes opérationnels à même d’améliorer l’efficacité du travail des acteurs philanthropiques, notamment sur des questions telles que le climat ou le genre.

Ce programme constitue un tournant et un point de départ à une meilleure coordination globale, en partenariat avec d’autres réseaux de la société civile tels que Forus ou Civicus. Les fondations doivent monter à bord et soutenir ce type de travail, notamment les fondations françaises et européennes qui ont une vision globale du développement et de la société civile.

Les acteurs français tels que France générosités sont invités à partager leurs apprentissages et à faire valoir leurs recommandations au niveau international.

 

Benjamin Bellegy,

Directeur exécutif de WINGS.

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Découvrez l’article de Laurence Lepetit sur l’adhésion au réseau WINGS et sur les enjeux à venir en cliquant ici.

Vous pouvez aussi découvrir l’ensemble des études sur la philanthropie à l’international publiées sur notre Centre de ressources.

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