Philanthropie et politiques de genre – podcast

Comment la philanthropie a-t-elle contribué à façonner les mouvements féministes aux Etats-Unis ? Plus largement, quel impact la philanthropie peut-elle avoir sur la définition même des causes qu’elle soutient ?

 

Un article à la croisée des sciences politiques, de l’étude de la philanthropie et des études de genre.

Anne Monier, chercheuse à l’ESSEC revient dans ce nouveau podcast de la Chaire de Philanthropie de l’ESSEC  sur un article de Kristin Goss intitulé “Foundations of feminism: How Philanthropic Patrons shaped Gender Politics” (2007). A partir de l’analyse de 6500 dons de fondations à des organisations féministes dans les années 1970 à 1990, la chercheuse montre comment la philanthropie a participé à structurer les mouvements féministes et les politiques de genre aux Etats-Unis.

 

Quelles idées retenir ?

Trois idées principales sont développées dans ce podcast :

• Les fondations ont joué un rôle clé dans les mouvements féministes aux Etats-Unis ;

Les fondations n’ont pas été à l’initiative du mouvement féministe né dans les années 1960. Elles avaient un rôle de revendication de droit des femmes auprès de l’Etat. En 1980, le mouvement des femmes était le mouvement identitaire américain qui avait reçu le plus d’argent. Les fondations ont permis aux groupes de femmes de se professionnaliser et à atteindre leurs objectifs sociaux et politiques. Elles ont aidé à faire appliquer les avancées législatives et à les sécuriser sur le long terme. Elles ont permis de réorienter les priorités sur les questions des femmes et à légitimer les nouvelles identités de genres et les nouveaux rôles. Par ce mode de financement, les fondations ont encouragé les femmes à se présenter en sous-communautés. Le mouvement est un assemblage d’intérêts particuliers.

• Les fondations ont participé à segmenter les identités des femmes au sein du mouvement féministe ;

Le mouvement féministe a permis de segmenter les femmes américaines en différentes identités : les femmes travailleuses, les femmes pauvres, les femmes lesbiennes, les femmes enceintes, les femmes battues … La segmentation et la diversification identitaire du mouvement féministe a émergé car les fondations ont financé des organisations qui ciblaient des problématique spécifiques propres à des groupes identitaires spécialisés. Ces identités fragmentées auraient elles émergées sans l’apport des fondations ? Cette tendance à fragmenter les causes est liée au fonctionnement même du champ philanthropique. Cette surspécialisation permet de maximiser la probabilité d’un pacte. Les associations se surspécialisent dans des niches afin de se différencier les unes des autres et d’attirer des financeurs. La spécialisation est une logique d’adaptation dans un marché compétitif de la recherche de fonds.

• Les fondations ont contribué à construire les politiques de genre en choisissant quelles idées et quelles normes privilégier.

Les études sur le rôle des fondations dans la société posent souvent cette question centrale : la philanthropie renforce-t-elle le système économique et social existant ou contribue-t-elle à le remettre en cause ? Certaines critiques disent que son rôle est de perpétuer l’ordre social et que les fondations sont conservatrices car c’est l’instrument des plus riches. D’autres au contraire pensent qu’elles ont pour rôle de disrupter le système faisant d’elles des acteurs du changement systémique. L’étude de Kristin Goss montre que les dons ont abouti à une diversification des rôles des femmes dans la société leur permettant ainsi d’occuper des rôles non traditionnels. Le soutien aux organisations qui encourageaient le rôle traditionnel de la femme pour cette période ne s’est pas arrêté, il a juste diminué proportionnellement. C’était un choix délibéré des fondations de soutenir des associations plus progressistes.

 

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Article écrit par Claire Bourdon 

 

Crédit photo : Freepik.com