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Rapport “The future of philanthropy” – Alliance – 2023

Publié le 07.11.2023

Le rapport "The Future of Philanthropy", publié par Alliance, vise à décrire les évolutions récentes de la générosité à travers le monde et apporte des éclairages intéressants sur les grandes tendances à venir. Quelles évolutions mondiales des dons des fondations, des entreprises et des particuliers ? Quelles tendances pour la générosité de demain ? Zoom sur les principaux enseignements de ce rapport…

Note méthodologique

Ce rapport, publié par Alliance en juin 2023, s’appuie sur une multitude de sources de données. Les auteurs (Andrew Milner, Ese Emerhi, Heba Abou Shnief et Mihika Chanchani) se basent notamment sur le rapport de 2018 du Future Agenda dans le cadre duquel une série d’ateliers de travail régionaux avait été menée à Dubaï, Singapour, Kuala Lumpur, Bombay, Londres, Oxford, Quito et Washington. Lors de ces ateliers, les participants ont identifié des tendances mondiales qu’ils pensaient être significatives dans les années à venir. En reprenant ces travaux, les auteurs :
– Analysent l’évolution de ces tendances en s’appuyant sur différentes données régionales et mondiales, et présentent une vision globale de la générosité,
– Réalisent une étude approfondie de la générosité dans 3 régions du monde (Asie du Sud-Est, Afrique et Moyen-Orient).

Cet article se concentre sur le travail de collecte et de compilation de données régionales afin de comprendre l’évolution mondiale de la générosité, cette analyse nous paraissant à la fois plus robuste et plus pertinente pour éclairer les évolutions de la générosité et de ses pratiques en France. Afin de faciliter la lecture de cet article, tous les chiffres sont présentés en dollars américains, sauf précisé.

 

Augmentation des différentes formes de générosité dans le monde

Au niveau mondial, les auteurs observent que les différentes formes de générosité augmentent à travers le monde, avec un accent particulier sur le don en ligne. Le don des particuliers est nettement plus important que les dons institutionnels (par les fondations) ou le mécénat, mais ces derniers peuvent orienter des sommes plus importantes vers une seule et même structure / cause. En revanche, il ne semble pas y avoir de grandes évolutions dans la popularité des causes soutenues par les différentes formes de générosité au niveau mondial : les dons sont dirigés principalement vers la santé, l’éducation, et l’aide humanitaire d’urgence.

Ils notent également l’émergence de nouvelles formes de dons, parmi lesquelles : la philanthropie basée sur les données de terrain (data-driven philanthropy), la philanthropie stratégique et une évolution du rapport aux dons pour les nouvelles générations. Le facteur principal des évolutions de la générosité au niveau mondial s’expliquant par le développement de technologies spécifiques, et plus particulièrement par l’utilisation du digital.

 

Quelles caractéristiques et évolutions des dons dits “institutionnels” au niveau mondial ?

Le rapport définit le don institutionnel comme le don effectué par des fondations.
En s’appuyant sur le rapport de l’OCDE de 2021, “Private philanthropy for development”, les auteurs rappellent que les dons institutionnels représentent 42.5 milliards de dollars entre 2016 et 2019, soit à peu près 10.6 milliards par an.

Principales caractéristiques des dons institutionnels au niveau mondial

Nous pouvons noter plusieurs caractéristiques des dons institutionnels au niveau mondial :

  • Ce sont principalement des dons transfrontaliers.
  • En volume, ce sont les fondations américaines qui représentent la part la plus importante des dons institutionnels : 24.3 milliards de dollars sur la période, soit près de 50% des dons institutionnels relevés par l’OCDE.
  • Néanmoins, sur les 205 fondations du panel de l’OCDE, 106 sont basées dans des pays émergents. Elles ont effectué 7.9 milliards de dollars de dons sur la période, soit à peu près 19% du total des dons institutionnels entre 2016 et 2019.

Forte croissance des dons institutionnels depuis plusieurs années

Selon les parties du monde, voici les évolutions observées :

  • Aux Etats-Unis, Giving USA indique que les dons institutionnels ont augmenté de 17% en 2020 pour atteindre 88.5 milliards de dollars de dons.
  • Au Brésil, le don institutionnel a augmenté de 53% entre 2018 et 2020 pour atteindre un total de 1.1 milliard de dollars. Dans la région, le don institutionnel moyen, c’est-à-dire le don moyen par structure enquêtée, est passé de 5.4 millions de dollars en 2019 à 8.8 millions de dollars en 2020, soit une hausse de 71%.
  • En Europe, cette tendance se confirme également.

Les raisons de cette croissance des dons effectués par les fondations ?

Les auteurs rappellent cependant que cette forte hausse des dons institutionnels est liée à la crise du Covid-19 qui a fortement impacté la générosité des fondations. Ces chiffres permettent de comprendre que les dons institutionnels sont en croissance, mais celle-ci a explosé au moment de la pandémie mondiale.

Par ailleurs, la croissance des dons institutionnels s’explique également par des effets structurels : le secteur fondatif étant en croissance à travers le monde depuis plusieurs années. On observe par exemple en France qu’un tiers des fondations et fonds de dotation actuels ont été créé après 2010. De plus, d’autres changements structurels devraient être observés dans les années à venir avec l’arrivée d’une nouvelle génération à la tête des fondations. En France par exemple, l’âge moyen des fondateurs a baissé de 64 à 61 ans entre 2013 et 2017 pour les fondations reconnues d’intérêt général (Observatoire de la philanthropie, 2020).

Au niveau mondial, on estime que ce transfert générationnel s’accentuera dans les 10 prochaines années avec près de 15 000 milliards de dollars qui seront transférés d’une génération à l’autre d’ici 2030 (Wealth-X, 2019). Ce transfert générationnel sera particulièrement important et rapide en Asie, et plus particulièrement en Inde (« ADB/AVPN Philanthropy Handbook », 2022).

Les dons institutionnels connaissent donc une forte croissance dans les différentes régions du monde depuis plusieurs années maintenant, et doivent continuer à être suivis de près par les acteurs du secteur de la générosité, d’importantes évolutions structurelles étant en cours.

 

Quelles évolutions du mécénat à travers le monde ?

En amont de leur analyse, les auteurs rappellent que dans certaines régions il reste difficile de différencier le mécénat des dons institutionnels – la frontière entre don des entreprises et don via une fondation d’entreprise n’étant pas toujours aussi étanche que dans le contexte législatif Français.

Bien qu’un nombre croissant d’entreprises s’interrogent sur leur responsabilité sociale et leur impact environnemental et social à l’aune des Objectifs de Développement Durable (ODD), le mécénat reste une forme de générosité minoritaire dans de nombreuses régions du monde.

  • Aux Etats-Unis, seulement 4% du total des dons ont été effectué par des entreprises, représentant moins de 1% des profits pré-impôts.
  • En France, le mécénat a augmenté de 119% entre 2010 et 2019, avec une hausse importante à noter pour les petites entreprises (Observatoire de la Philanthropie).
  • En revanche, au Brésil et en Inde, le mécénat est la principale forme de générosité (Censo GIFE, 2020 et Bain & Co, 2022). Notons qu’en Inde le don est obligatoire pour les entreprises dépassant une taille définie par la loi (Companies Act).

 

Il semblerait donc que le mécénat connaisse également une croissance au niveau mondial, mais cela doit être nuancé car tous les pays n’ont pas le même niveau d’avancement sur les pratiques et les législations en place.

 

Quelles évolutions des dons des particuliers au niveau mondial ?

Le rapport souligne que les dons des particuliers est le principal canal de collecte dans la plupart des pays. Par exemple, aux Etats-Unis, les dons des particuliers, libéralités inclues, représentent 67% de l’ensemble des dons réalisés en 2020 (Giving USA).

Une « tendance plate » de la progression des dons des particuliers qui recouvre des disparités régionales

Globalement, le don des particuliers a connu une croissance ces dernières années, même si cette croissance a parfois été modeste en raison des contextes nationaux et mondiaux.

Ainsi, le CAF World Giving Index de 2021 rappelle que “plus de gens ont donné de l’argent en 2020 que pendant les 5 dernières années, même si la tendance globale de l’index ces dix dernières années semble plate”. Rappelons ici que l’index de la CAF comptabilise 3 formes de dons des particuliers : les dons d’argent, les dons de temps et l’aide aux étrangers.
Le Royaume-Uni, les Etats-Unis et les Pays-Bas, qui historiquement étaient parmi les 10 pays les plus généreux du World Giving Index ces dix dernières années, ont pour la première fois perdu leur classement. A l’inverse, le Nigeria, l’Uganda, le Ghana et le Kosovo se sont hissés en haut du classement du World Giving Index.

Par ailleurs, le CAF World Giving Index 2021 met en lumière que, dans les pays où le nombre de particuliers effectuant des dons monétaires a diminué, le don de temps et l’aide aux étrangers a augmenté. Cela laisse supposer qu’en période de crise, bien que le don des particuliers soit impacté par de nouvelles contraintes budgétaires, les individus reportent leur générosité sur d’autres formes.

Zoom sur les grands donateurs

Le rapport propose un focus sur les “ultra high net worth individuals”, qui sont les particuliers détenant un patrimoine de plus de 30 millions de dollars. Le don des particuliers “ultra high net worth” est caractérisé par l’importance des volumes donnés.

En 2022, c’est plus de 175 milliards de dollars qui ont été donnés par des “ultra” grands donateurs, soit 36% des dons des particuliers au niveau mondial (Wealth X,”Ultra High Net Worth Philanthropy 2022″). Ce profil de donateurs particuliers se répartit de façon inégalitaire à travers le monde, puisque la majorité de ces particuliers vit en Amérique du Nord, en Europe et en Asie.

Le don des particuliers “ultra high net worth” est la forme de générosité qui a connu la plus forte croissance : +4.1% en 2020. Elle dépasse ainsi la croissance des dons des autres particuliers (+2.9% en 2020), et les dons institutionnels (+1.5% en 2020). Néanmoins, bien que la croissance des dons des grands donateurs ait été particulièrement importante, elle demeure une source de générosité plus petite que les dons des particuliers et les dons institutionnels en volume et en valeur.

Les dons des particuliers portent donc la générosité au niveau mondial, et, bien que la crise du Covid-19 ait eu un impact sur cette forme de générosité, les particuliers ont maintenu leur générosité bien qu’à des niveaux plus faibles. Le rapport souligne l’importance des « ultra » grands donateurs, dont on peut supposer que les pratiques vont évoluer avec l’arrivée d’une nouvelle génération d’individus très fortunés ayant une pratique différente de la philanthropie.

 

5 tendances pour la générosité de demain

Le rapport met en lumière différentes évolutions des pratiques de la générosité. Ces évolutions ne sont pas toutes au même stade, certaines étant bien ancrées dans les pratiques de chacun, tandis que d’autres sont encore très récentes.

1ère tendance : hausse des dons en ligne

La 1ère tendance identifiée dans le rapport est la hausse des dons en ligne au niveau mondial.

Les récentes éditions de Giving Tuesday dans différents pays soulignent une forte progression du don des particuliers en ligne au niveau mondial ces dernières années.

  • Au Royaume Uni, ce sont 20.2 millions de livre sterling qui ont été collectés lors de l’édition 2020, soit une hausse de 42% par rapport à l’année précédente.
  • L’Indonésie est le pays ayant connu la plus forte croissance des dons en lignes, avec une hausse de 72% du don digital pendant la pandémie.
  • La Chine a également connu une forte croissance des dons en ligne avec une hausse de 47% des dons collectés en ligne entre 2016 et 2017.

 

Cette importance du don en ligne peut soulever des questions sur la sécurité digitale, notamment dans les pays émergents. Une étude de Sura, Ahn et Lee (2017) basée sur une enquête auprès de 258 individus en Malaisie et en Corée du Sud montre que les donateurs se questionnent sur la sécurité des dons en ligne et que cela peut affecter leur propension à donner. A l’inverse, l’Observatoire de la Philanthropie en France rappelle que les dons en ligne permettent d’atteindre des populations jusqu’à présent encore éloignées du don. Notons néanmoins qu’en France, les canaux traditionnels de collecte demeurent les plus importants.

Le don en ligne connaît donc une forte croissance dans plusieurs régions du monde depuis plusieurs années bien qu’il demeure souvent minoritaire face aux autres formes de collecte. Cette évolution du don vers des formes digitalisées questionne, mais il convient de rappeler que le digital peut être un puissant levier démocratique afin d’atteindre le plus grand nombre de donateurs.

2ème tendance : développement des pratiques digitales

La crise du Covid-19 a renforcé l’utilisation de nouvelles technologies digitales à travers le monde, notamment l’utilisation des smartphones, et plus particulièrement auprès des plus jeunes générations. Le secteur de la générosité a su se saisir de cette évolution des pratiques. Le rapport met par exemple en avant la mise en place de l’application ShareTheMeal du Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies qui proposait aux utilisateurs de l’application de donner 0.50 dollars à chaque fois que l’on tape sur un bouton de l’application.
Ces changements de pratiques questionnent sur les futures évolutions de la générosité mais également sur les nouvelles formes d’échanges avec les communautés de donateurs grâce au développement de nouvelles technologies de communication digitale comme Zoom ou Microsoft Teams.

Bien qu’il soit difficile de recenser au niveau mondial de façon exhaustive l’évolution des pratiques digitales dans le secteur de la générosité, les exemples évoqués par le rapport soulignent la force d’innovation du secteur ainsi que la perspective d’une évolution de la générosité. Un plus fort engagement digital à travers le secteur semble être nécessaire pour être en adéquation avec les pratiques des nouvelles générations.

3ème tendance : plus large collaboration entre les donateurs

La collaboration entre les donateurs s’inscrit sur un continuum allant de la coopération sur un projet individuel, par la formation de groupes d’intérêts ou de défense de droits, à des efforts de financement commun. Il semblerait que ce soit des problèmes complexes et dépassant le cadre des pays ou des régions qui attirent ce type de collaboration – comme l’environnement. On peut ainsi citer le projet « Funders for Regenerative Agriculture » qui est un réseau de donateurs visant à influencer les pratiques agricoles dans l’ensemble de l’Amérique du Nord.

La collaboration entre les donateurs, dans toutes ces formes, semble prendre de l’ampleur à travers le monde apportant notamment une vision large de problématiques sociales complexes et renforçant l’impact des dons de chacun.

4ème tendance : un nouveau rôle du secteur marchand

Au niveau mondial, la frontière entre les organisations sans but lucratif et les entreprises à but lucratif est de plus en plus poreuse. Cette porosité s’explique notamment par la mise en place des Objectifs de Développement Durable (ODD) qui a généré de nouvelles formes d’investissement. Ainsi, on observe au niveau mondial le développement de nouvelles structures philanthropiques. Par exemple, les fonds ESG représentent maintenant 10% des actifs des fonds financiers à travers le monde.

La porosité entre le secteur marchand et non-marchand questionne sur les évolutions du secteur, et donc sur la générosité de demain. Celle-ci émanera certainement de nouvelles structures et sous des formes différentes de ce que nous avons pu connaître jusqu’à présent.

5ème tendance : une nouvelle génération avec une nouvelle approche philanthropique

Comme cité plus haut, le monde va connaître un transfert générationnel sans précédent dans les 30 prochaines années – avec plus de 30 000 milliards de dollars transférés uniquement aux Etats-Unis entre deux générations.

Il est donc nécessaire que le secteur de la générosité s’acculture aux pratiques de la génération Z et des millenials qui sont les donateurs de demain. Les différentes sources mobilisées par les auteurs soulignent que cette génération entretient des relations plus proches et plus actives avec les groupes qu’elles soutiennent mais également entre eux. Ces générations ne sont pas uniquement engagées auprès du secteur de la générosité, mais également dans de nombreux aspects de leur vie. Ils souhaitent ainsi influencer l’évolution de la société via leur carrière et/ou leur consommation.
Une étude de Mendonca (2019) souligne par ailleurs que les prochaines générations mettront un accent plus prononcé sur la transparence des structures du secteur et de l’utilisation des dons, ainsi que sur l’importance de créer une résilience des communautés bénéficiaires plutôt qu’une dépendance en ne répondant qu’aux urgences.
Enfin, comme nous avons pu le voir dans la 1ère et 2ème tendance, les nouvelles générations seront certainement porteuses du renforcement de la collecte digitale ainsi que du développement de nouveaux canaux de générosité.

L’ensemble du rapport semble souligner le changement qui est porté par les nouvelles générations. Il est nécessaire que le secteur de la générosité se saisisse de ces évolutions afin d’anticiper la générosité de demain.

 


L’intégralité du rapport “The Future of Philanthropy”, publié par Alliance est accessible ICI

Toutes les études du secteur de la générosité sont disponibles dans notre Centre de ressources.

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