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OSBL de droit étranger : comment apprécier le caractère désintéressé de leur gestion ?

Publié le 20.02.2024

Pour bénéficier d’un régime fiscal réservé à certains organismes sans but lucratif (OSBL) français, un OSBL étranger doit apporter la preuve qu’il pourrait bénéficier, s’il était établi en France, de ce même régime. Pour ce faire, il lui appartient notamment de démontrer le caractère désintéressé de sa gestion, mais selon quels critères ?

Dans un article du 13 juin 2023, nous revenions sur la jurisprudence bien établie selon laquelle les OSBL étrangers percevant des revenus en France peuvent être assimilés à des organismes d’intérêt général français et ainsi bénéficier des mêmes exonérations d’impôts, sous réserve de justifier du fait qu’ils se trouvent dans une situation objectivement comparable.

Un jugement du 11 janvier 2024, rendu par le tribunal administratif de Montreuil, nous apporte des précisions supplémentaires sur l’analyse qui doit être faite du caractère intéressé ou désintéressé de la gestion d’une organisation étrangère, au regard du droit français.   

Dans cette affaire, un fonds de pension irlandais perçoit des dividendes de source française. En application des dispositions combinées des articles 119 bis, 2 et 187 du code général des impôts (CGI), l’administration fiscale française applique une retenue à la source à hauteur de 30% sur ces dividendes.

Le fonds de pension irlandais estime que cette imposition n’est pas fondée. Selon lui, le taux d’imposition réduit prévu par le droit français pour certains OSBL doit s’appliquer. Les OSBL établis en France, dont la gestion est désintéressée et dont les activités non lucratives restent significativement prépondérantes sont en effet assujettis à l’impôt sur les sociétés (IS) au taux réduit de 15% sur les dividendes qu’ils perçoivent (art. 206, 5 et 219 bis du CGI).

 

Rappel du principe européen de libre circulation des capitaux

Saisi de l’affaire, le tribunal administratif rappelle dans un premier temps qu’en application du principe européen de libre circulation des capitaux, un organisme installé dans un autre Etat membre de l’Union européenne doit jouir d’une égalité de traitement avec les organismes nationaux qui lui sont similaires : il doit pouvoir bénéficier des mêmes avantages fiscaux que ces derniers dès lorsqu’il remplit les conditions imposées par la législation nationale (voir en ce sens : CJCE, 14 sept. 2006, aff. C-386/04, Centro di Musicologia Walter Stauffer).

En l’espèce, le juge constate que l’imposition litigieuse constitue une restriction à la libre circulation des capitaux. En effet, cette mesure prive tout organisme établi dans un autre Etat membre de la faculté de démontrer qu’il pourrait bénéficier, s’il était établi en France, du taux d’imposition réduit de 15% mentionné ci-dessus.

A noter que la solution aurait été différente si ce régime fiscal était réservé aux organismes nationaux pour des raisons impérieuses d’intérêt général. De telles mesures discriminatoires peuvent être justifiées, sous réserve qu’elles soient proportionnées. Cependant, en l’espèce, le régime fiscal litigieux s’applique à des organismes à raison du caractère non lucratif de leur activité et non d’une charge d’intérêt général. Un organisme situé dans un autre Etat membre doit par conséquent pouvoir en bénéficier, s’il remplit les conditions nécessaires.

 

Le raisonnement par assimilation : le fonds de pension irlandais est-il comparable à un OSBL français ?

Dans un second temps, le juge indique qu’afin d’établir qu’il se trouve dans une situation objectivement comparable aux organismes français éligibles à ce régime fiscal, il appartient au fonds de pension irlandais de démontrer :

  • Que sa gestion présente un caractère désintéressé ;
  • Que ses services ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d’attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique.

Le fait que le fonds de pension soit établi à l’étranger ne pose pas de difficulté d’interprétation pour le critère de la concurrence : celui-ci s’appréciera de manière identique que l’organisation concernée soit, ou non, établie en France. En revanche, des questions supplémentaires se posent s’agissant du critère de la gestion désintéressée car, en définissant cette notion, le législateur français n’a pas pris en compte les spécificités que peuvent présenter les organismes de droit étranger.

 

Gestion désintéressée et rémunération des dirigeants

Au regard du droit français, la gestion d’une organisation est reconnue comme étant désintéressée si plusieurs conditions sont remplies. La première de ces conditions prévoit que l’organisme doit être géré et administré à titre bénévole par des personnes n’ayant elles-mêmes, ou par personne interposée, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l’exploitation (art. 261, 7, 1° d du CGI).

Cependant, lorsqu’il est décidé que l’exercice des fonctions confiées aux dirigeants justifie le versement d’une rémunération, le caractère désintéressé de la gestion n’est pas remis en cause, sous réserve du respect de certaines limites et conditions.

Des plafonds de rémunération doivent ainsi être respectés : la rémunération individuelle d’un dirigeant est limitée soit, en application d’une tolérance administrative, à un montant correspondant aux trois quarts du SMIC, soit, si la rémunération est fixée en fonction des ressources propres de l’organisme, à un montant égal à trois fois le plafond de la sécurité sociale (art. 261, 7, 1° d du CGI).

Lorsque la rémunération est fixée en fonction des ressources, des conditions supplémentaires s’appliquent, notamment :

  • Caractère proportionné de la rémunération: celle-ci doit être en adéquation avec les sujétions effectivement imposées aux dirigeants concernés (leur charge de travail, leurs contraintes, leurs responsabilités…) ;
  • Nombre limité de dirigeants pouvant être rémunérés: entre 1 et 3, en fonction des ressources.
  • Transparence financière et fonctionnement démocratique : ceux-ci sont assurés par les statuts et les modalités de fonctionnement de l’organisation.

 

Les critères relatifs à l’encadrement de la rémunération des dirigeants doivent-ils être appliqués de manière stricte dans l’analyse de la gestion d’un OSBL étranger ?

Le tribunal répond par la négative, rappelant qu’il doit être tenu compte des règles spécifiques auxquelles les organismes sont soumis dans leur État de résidence.

Une analyse au cas par cas est nécessaire : le caractère désintéressé de la gestion ne sera pas remis en cause si la rémunération versée aux dirigeants et le nombre de ceux-ci ne sont pas disproportionnés par rapport aux limites fixées dans la législation française, au regard,

  • des sujétions imposées à ses dirigeants: en l’espèce, le fonds de pension irlandais n’apporte pas d’éléments concrets sur ce point.
  • des règles spécifiques de son pays d’établissement: en l’espèce, est mis en avant le fait que les rémunérations des dirigeants du fonds sont fixées par le ministre des transports.

 

Au regard de ces éléments, le juge a estimé que le fonds de pension irlandais ne présentait pas d’éléments susceptibles d’établir le caractère proportionné des rémunérations. Il ne pouvait par conséquent pas prétendre à l’application du taux réduit de 15% sur les dividendes de source française perçus.

A noter que cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante. A titre d’exemple, selon le Conseil d’Etat, les rémunérations versées par un charitable trust britannique ne sont pas disproportionnées par rapport aux limites prévues par la législation française, quand bien même ces rémunérations excédent les plafonds fixés par ladite législation et sont versées à onze dirigeants. Dans cette affaire, les dirigeants concernés étaient personnellement responsables des conséquences financières de leurs décisions et leurs rémunérations avaient été autorisées à titre exceptionnel par des autorités de contrôle au regard de la difficulté de la mission qui leur était confiée – autant d’éléments à même de justifier le caractère proportionné des rémunérations et, par conséquent, le caractère désintéressé de la gestion (CE, 9e et 10e ss-sect., 22 mai 2015, n° 369819).

 

Références :

  • Tribunal administratif de Montreuil, 10ème chambre, 11 janvier 2024, n° 2111068

 

anouk Anouk MARCHALAND
Collaboratrice juridique

 


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