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Eligibilité au régime fiscal du mécénat : des précisions apportées par le juge

Publié le 22.11.2023

Trois décisions récentes des tribunaux administratifs de Paris, Amiens et Rennes viennent illustrer, par le biais de trois contentieux liés à des procédures de rescrit mécénat[1], certaines notions clés relatives au régime du mécénat. L’occasion de revenir sur les critères et conditions d’éligibilité à ce régime fiscal.

Pour ouvrir droit aux réductions d’impôt prévues par la loi, les dons et versements faits par les particuliers et les entreprises doivent réunir un certain nombre de conditions relatives au donateur, à l’organisme bénéficiaire et au versement.

L’actualité jurisprudentielle nous invite à nous pencher plus précisément sur les conditions tenant à l’organisme bénéficiaire du don.

La loi prévoit que seules certaines catégories d’organisations sont éligibles au régime fiscal du mécénat et peuvent, à ce titre, délivrer des reçus fiscaux pour les dons et versements qu’elles reçoivent. Nous nous intéressons, dans cet article, aux « œuvres et organismes d’intérêt général » (articles 200 1 b) et 238 bis, 1 a) du Code général des impôts).

Tout d’abord, l’organisme bénéficiaire des dons doit être d’intérêt général. En application de la doctrine fiscale, tel sera le cas si l’organisme :

  • n’exerce pas d’activité (principale) lucrative, au sens fiscal du terme,
  • est géré de façon désintéressée,
  • ne fonctionne pas au profit d’un cercle restreint de personnes (I).

Ces critères étant cumulatifs, l’organisation ne pourra pas être qualifiée d’intérêt général si l’un d’entre eux fait défaut.

L’organisme bénéficiaire doit par ailleurs exercer, à titre principal, une activité qui recouvre l’un des critères prévus par la loi (éducatif, scientifique, humanitaire etc.) (II).

Enfin, l’organisation bénéficiaire doit porter une attention particulière à sa forme juridique (III).

 

 

Les actions de l’organisation bénéficiaire ne doivent pas bénéficier à un cercle restreint de personnes

Le Tribunal administratif de Paris revient, dans une décision du 30 octobre 2023, sur la notion de cercle restreint de personnes (réf. : TA Paris, 2e section – 2e chambre, 30 octobre 2023, n° 2212498).

Principe : pour être considéré comme d’intérêt général et bénéficier du régime fiscal du mécénat, un organisme sans but lucratif (OSBL) doit agir en faveur d’un large cercle de personnes.

Définition : selon la doctrine fiscale[2], un OSBL fonctionne au profit d’un cercle restreint de personnes lorsqu’il poursuit des intérêts particuliers (notamment matériels et moraux) d’une ou plusieurs personnes clairement individualisables. Les intérêts particuliers ainsi poursuivis peuvent concerner des personnes physiques ou morales, membres ou non de l’organisme.

Dans les faits, il appartient à l’administration de recourir à un faisceau d’indices permettant d’appréhender concrètement :

  • la mission que s’est fixée l’organisme,
  • le public bénéficiaire réel de ses actions.

Ces indices doivent être appréciés dans leur globalité et non individuellement.

Ainsi, si un organisme rassemble des personnes qui appartiennent à un groupe déterminé (telle qu’une catégorie professionnelle), cela ne signifie pas pour autant qu’il fonctionne au profit d’un cercle restreint de personnes. Il convient parallèlement de regarder quels sont les bénéficiaires des actions menées par l’organisme : si celles-ci servent exclusivement les intérêts particuliers de ses seuls membres, l’organisme fonctionne au profit d’un cercle restreint de personnes et n’est pas d’intérêt général.

Illustration : dans l’affaire qui nous intéresse, l’association nationale des retraités de la police (ANRP) a pour objet de regrouper les retraités des polices nationale et municipales, les veufs et veuves de retraités ou de policiers nationaux ou municipaux en activité, et leurs amis, dans le but de défendre leurs intérêts moraux et matériels et de maintenir des liens intergénérationnels entre les retraités de la police et les policiers en activité.

Cette association a également comme mission d’entretenir le lien social entre ses adhérents (organisation d’événements) et d’apporter un soutien financier à ses membres par le biais d’une caisse de solidarité, étant précisé que seuls certains membres peuvent bénéficier de cette aide.

Constatant que l’association :

  • s’adresse uniquement à des bénéficiaires définis par leur appartenance à une catégorie professionnelle déterminée (policiers nationaux et municipaux) et
  • réserve le bénéfice de ses prestations à ses adhérents,

l’administration fiscale conclut que l’association fonctionne au profit d’un cercle restreint de personne et ne peut, par conséquent, être qualifiée d’intérêt général.

L’administration semble ici avoir rigoureusement appliqué la méthode du faisceau d’indices de la doctrine fiscale. Cette analyse rejoint par ailleurs la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle dès lors qu’elle ne s’adresse qu’à des bénéficiaires définis exclusivement par leur appartenance à une profession déterminée, l’association n’est pas un organisme d’intérêt général (…) en raison du caractère restreint de la définition du public des bénéficiaires de ses prestations (réf. : CE, arrêt du 16 mars 2011 n° 329945).

Cependant, le tribunal administratif n’a pas adopté le même raisonnement et a annulé la décision prise par l’administration.

Le tribunal reproche à l’administration fiscale d’avoir pris cette décision uniquement sur le fondement des statuts de l’association, sans considérer l’ensemble des circonstances qui, dans les faits, entourent les actions menées :

  • les actions d’entraides et de secours de l’association ont une dimension particulière, notamment en raison des risques particuliers et des conditions souvent difficiles dans lesquelles les membres de l’association exercent ou ont exercé des tâches relevant des fonctions régaliennes,
  • l’association est ancrée dans le monde associatif des policiers et anciens policiers,
  • l’association a une certaine ancienneté,
  • l’association réalise également d’autres activités, telles que des missions d’information relatives aux sujets intéressant les questions relatives aux pensions de retraites des anciens policiers.

Conclusion : la notion de cercle restreint de personnes s’apprécie au cas par cas et doit prendre en considération l’ensemble des circonstances qui entourent concrètement les activités de l’organisme. Le fait que l’association ne s’adresse qu’à des bénéficiaires définis par leur appartenance à une catégorie professionnelle déterminée et réserve le bénéfice de ses prestations à ses adhérents ne s’oppose pas à la reconnaissance du caractère d’intérêt général de ses activités.

 

2. L’organisme bénéficiaire doit exercer une activité prépondérante éligible au régime du mécénat

Le Tribunal administratif d’Amiens revient, dans une décision du 19 octobre 2023, sur la nature des activités éligibles au régime fiscal du mécénat (réf. : TA Amiens, 2ème chambre, 19 octobre 2023, n° 2102539).

Principe : un don n’ouvre droit à réduction d’impôt que s’il sert à financer certaines activités. Ainsi, même si un organisme réunit tous les critères de l’intérêt général au sens fiscal (but non lucratif, gestion désintéressée et cercle large de personnes), il ne sera pas éligible au régime fiscal du mécénat s’il n’exerce pas, de manière prépondérante, l’une des activités prévues par la loi.

Définition : les activités éligibles au régime fiscal du mécénat sont limitativement énumérées par la loi (cf. art. 200, 1 b) et 238 bis 1 a) du CGI). Il s’agit des activités qui revêtent un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises.

Illustration : dans l’affaire qui a été portée devant le tribunal administratif d’Amiens, l’association Sauvegarde des côtes d’Opale Picarde et d’Albâtre estimait être d’intérêt général dans la mesure où, au regard de son objet et de ses actions, elle concourrait à la défense de l’environnement naturel et revêtait donc bien l’un des critères prévus par la loi.

Les statuts de l’association présentent en effet son objet de la manière suivante : «?Protection de l’environnement, entre autres de la faune, de la flore, des paysages et du patrimoine archéologique et historique, contre toutes les atteintes qui pourraient lui être portées, notamment par l’implantation de parcs éoliens maritimes sur le littoral et au large de la côte normande-picarde, sur une zone située entre la commune de Dieppe et la baie de la Somme?».

Cependant, dans les faits, l’administration fiscale constate que l’association a pour seule activité l’opposition à un projet particulier d’installation d’un site d’éoliennes à Dieppe-Le Tréport.

Or, la doctrine fiscale prévoit qu’en matière de défense de l’environnement naturel, seules les activités liées aux domaines suivants sont susceptibles d’être qualifiées d’intérêt général (cf. BOI-IR-RICI-250-10-20-10) :

  • la lutte contre les pollutions et nuisances ;
  • la prévention des risques naturels et technologiques ;
  • la préservation de la faune, de la flore et des sites ;
  • la préservation des milieux et des équilibres naturels, l’amélioration du cadre de vie en milieu urbain ou rural.

L’administration fiscale, ainsi que le tribunal, en ont conclu que l’activité principale de lobbying de l’association ne pouvait être qualifiée d’intérêt général, et ce, peu importe ce qui figurait dans ses statuts.

A noter : le fait que l’action porte sur une zone géographique restreinte (le large du Tréport) n’est pas la raison pour laquelle l’association s’est vue refuser son caractère d’intérêt général. En effet, la doctrine fiscale précise que le fait d’intervenir sur un territoire circonscrit, tel qu’un Parc naturel régional, ne suffit pas à écarter un organisme de la qualification d’intérêt général.

Conclusion : l’objet statutaire ne suffit pas à caractériser une activité d’intérêt général. Il convient d’identifier, dans les faits, quelle est l’activité prépondérante exercée par l’organisation et de vérifier si celle-ci répond bien à l’un des critères prévus par la loi et interprétés strictement par l’administration.

 

3. Une société commerciale ne peut pas être qualifiée d’œuvre ou d’organisme d’intérêt général éligible au régime du mécénat

Le Tribunal administratif de Rennes revient, dans sa décision du 18 octobre 2023, sur la forme juridique que peut adopter une œuvre ou un organisme d’intérêt général pour être éligible au régime du mécénat (réf. : TA Rennes, 2ème chambre, 18 octobre 2023, n° 2100471).

Principe : pour bénéficier de la réduction d’impôt correspondante, les donateurs doivent réaliser leurs dons et versements au bénéfice de certaines catégories d’organisation. Certaines structures juridiques, indépendamment de leur objet, sont exclues du régime fiscal du mécénat.

Définition : les articles 200 et 238 bis du code général des impôts listent chacun des catégories d’organismes bénéficiaires parmi lesquels figurent les « œuvres ou organismes d’intérêt général » qui revêtent l’un des critères prévus par la loi (cf. point II).

Illustration : dans l’affaire jugée par le tribunal administratif de Rennes, une entreprise constituée sous la forme d’une société à responsabilité limitée coopérative soutenait que sa forme juridique ne faisait pas obstacle à son éligibilité au régime du mécénat.

Selon elle, la notion « d’œuvres ou d’organismes » étant générale, une société de capitaux pouvait appartenir à cette catégorie d’organismes bénéficiaires.

Par conséquent, dès lors qu’elle répondait aux conditions nécessaires (non-lucrativité, gestion désintéressée et cercle large de personne, activité revêtant l’un des critères prévus par la loi), l’entreprise pouvait recevoir des dons et versements ouvrant droit à réduction d’impôt.

Cependant, si leur forme juridique n’est pas explicitement précisée par la loi, le tribunal rappelle qu’il résulte des articles 200 et 238 bis du code général des impôts que les sociétés commerciales ne peuvent constituer des « œuvres ou organismes d’intérêt général ».

La doctrine fiscale précise que sont visés dans cette catégorie d’organismes bénéficiaires :

  • les organismes privés (associations, fondations…)
  • ainsi que les organismes publics (État, collectivités territoriales, établissements publics et généralement toutes les personnes morales de droit public, tels les groupements d’intérêt public).

Tous les versements faits directement à un particulier ou à une entreprise industrielle ou commerciale en sont exclus (cf. BOI-IR-RICI-250-10-10, n° 80).

La seule exception prévue par les textes porte sur les dons faits par des entreprises à certaines sociétés de capitaux ayant pour activité principale la présentation au public d’œuvres dramatiques, lyriques, musicales chorégraphiques, cinématographiques, audiovisuelles et de cirque ou l’organisation d’expositions d’art contemporain.

En l’espèce, l’entreprise ne rentrait pas dans cette catégorie d’organismes bénéficiaires

A noter : l’entreprise en cause bénéficiait d’un agrément au titre de la maîtrise d’ouvrage d’insertion qui peut être accordé à tout organisme qui a une gestion désintéressée, c’est-à-dire qui sont « gérés et administrés à titre bénévole par des personnes n’ayant elles-mêmes, ou par personne interposée, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l’exploitation » (cf. décret n°2009-1684 du 30 décembre 2009 et circulaire du 6 septembre 2010).

Conclusion : indépendamment des conditions de gestion de leur activité, « les sociétés commerciales ne sont pas, en raison de leur nature juridique et de leur objet, au nombre des œuvres et organismes d’intérêt général » mentionnées par les articles 200 et 238 bis du CGI.

 

Si les solutions qui ressortent de ces trois affaires ne sont pas nouvelles, elles sont l’occasion de rappeler que les critères d’éligibilité au régime du mécénat sont appréciés, au cas par cas, de manière stricte par l’administration fiscale.

 

Sarah Sarah Bertail
Directrice juridique et fiscale
anouk Anouk MARCHALAND
Collaboratrice juridique

 

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Références :

  • TA Paris, 2e sect. – 2e ch., 30 oct. 2023, n° 2212498
  • TA Amiens, 2e ch., 19 oct. 2023, n° 2102539
  • TA Rennes, 2e ch., 18 oct. 2023, n° 2100471

[1] La procédure de rescrit prévue par l’article L. 80 C du livre des procédures fiscales permet aux organismes ou groupements recevant des dons de s’assurer auprès de l’administration qu’ils répondent bien aux critères définis aux articles 200 et 238 bis du code général des impôts et peuvent, de ce fait, délivrer des reçus fiscaux.

[2] BOI-IR-RICI-250-10-10, §130 et s. 10/05/2017.

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