escalier de couleur

Le rétrécissement de l’espace civique en Europe – Regard sur la Bulgarie #5

Publié le 15.07.2025

L’organisation européenne European Fundraising Association (EFA) publie une série d’articles "Spotlight on civic space" qui explore la tendance et l’impact du rétrécissement de l’espace civique à travers l’Europe, ainsi que ses conséquences sur la générosité et la réponse du secteur associatif et fondatif à ces défis. Dans ce cinquième article, Zahari Iankov, conseiller juridique au Bulgarian Center for Non-for-Profit Law, témoigne de la situation en Bulgarie, notamment concernant la proposition de loi sur les "agents étrangers" et les législations anti-LGBT, ainsi que de la réaction de la société civile face à ces restrictions.

 

La Bulgarie traverse une crise politique continue depuis 2021, incapable de former un gouvernement stable. En octobre 2024, des élections législatives ont été organisées pour la septième fois en trois ans. Cela a conduit, début 2025, à la formation d’un gouvernement aux perspectives incertaines.

Dans cet environnement politique instable, une méfiance croissante envers le processus électoral est constatée : les dernières élections législatives ont enregistré une participation électorale historiquement basse de 38,94 %. D’autres mécanismes de participation citoyenne, comme le Conseil consultatif des organismes sans but lucratif (OSBL) auprès du Parlement et le Conseil pour le développement de la société civile auprès du Conseil des ministres, ne fonctionnent pas régulièrement et peinent à atteindre leurs objectifs statutaires.

Parallèlement, les acteurs politiques ciblent continuellement les OSBL et les concepts de droits humains et de coopération internationale à travers des campagnes de dénigrement et des propositions législatives répressives, inspirées des pratiques autoritaires en Russie et en Hongrie.

 

La proposition de loi sur les “agents étrangers” (FARA)

Une proposition de loi, inspirée d’une loi russe, sur les agents étrangers a été introduite pour la première fois en Bulgarie en 2022 par le parti d’extrême droite “Revival”. Elle prévoit plusieurs mesures restrictives telles que la stigmatisation des organisations concernées, l’interdiction de certaines activités, l’imposition de lourdes charges administratives et la censure à l’encontre des organisations ou personnes ayant reçu un financement (y compris sous forme de biens ou de remboursements de frais) de l’étranger dépassant un total de 1000 BGN (environ 500 euros) sur un an.

La proposition a été présentée en 2022 lors d’une conférence de presse, accompagnée d’un document présenté comme un “rapport au parquet” contenant des données personnelles de dizaines de représentants d’organisations de la société civile (dont leur numéro d’identification personnelle – ce qui est strictement interdit par la loi bulgare sur la protection des données personnelles), ayant reçu un financement de l’un des plus grands donateurs privés du pays. Peu après, l’Autorité de protection des données a ouvert une enquête contre le parti “Revival”. Il lui aura finalement fallu trois ans pour constater la violation, sans pour autant imposer de sanctions.

Depuis 2022, la proposition de loi FARA a été soumise à trois reprises à différents parlements, et a fait l’objet d’une commission parlementaire et de deux débats en séance plénière. Bien que le projet n’ait finalement pas été adopté, il est constamment utilisé dans le cadre de campagnes de dénigrement contre les OSBL.

 

Législation anti-LGBT comme porte d’entrée à une attaque plus large contre l’espace civique

Début août 2024, le Parlement a adopté des amendements à la loi sur l’éducation préscolaire et scolaire visant à interdire la promotion ou la discussion sur les orientations sexuelles ou sur les identités de genre diverses et “non traditionnelles” dans les écoles. Ces changements ont été votés en procédure accélérée, sans débat approprié ni consultation publique.

En décembre 2024, un autre amendement législatif anti-LGBT, cette fois dans la loi sur la protection de l’enfance, a été proposé. Il vise à interdire l’accès et la diffusion de toute information liée à l’identité ou l’expression de genre ne correspondant pas à une vision strictement biologique du sexe dans les lieux publics “susceptibles d’être fréquentés par des enfants”. Il prévoit également la criminalisation des prestations médicales liées à la transition de genre pour les mineurs, ainsi que le retrait des agréments des prestataires de services sociaux partageant ces informations. Cette proposition n’a pas encore été adoptée, mais elle a déjà été approuvée par plusieurs commissions parlementaires.

Ces lois anti-LGBT s’inspirent des législations adoptées en Hongrie, en Russie et en Géorgie, où elles ont été utilisées comme point de départ d’une répression plus large contre les OSBL et les droits humains. De manière similaire, après l’adoption de la loi sur l’éducation en Bulgarie, les acteurs politiques d’extrême droite ont utilisé l’occasion pour promouvoir l’adoption de la FARA comme prochaine étape nécessaire pour “protéger les enfants”, sous-entendant que les OSBL financés par l’étranger leur seraient nuisibles. Fin août, une audition conjointe de deux commissions parlementaires a eu lieu pour enquêter sur une possible violation de la nouvelle loi par des organisations de la société civile (OSC) faisant des recherches sur le harcèlement scolaire des élèves LGBT. Cette audition a constitué une attaque directe contre plusieurs organisations et, de fait, une campagne de dénigrement du secteur associatif.

 

Propositions de commissions parlementaires ad hoc

Début 2025, plusieurs partis politiques représentés au Parlement ont proposé la création de commissions parlementaires ad hoc pour enquêter sur le financement étranger des OSC. Aucune de ces propositions n’a été adoptée, mais elles ont été débattues en séance plénière, au cours desquelles de nombreuses organisations ont été nommément citées et stigmatisées par des députés. Des bailleurs de fonds spécifiques comme des programmes américains ou suisses ont aussi été attaqués – à la manière typique de la rhétorique hongroise – avec des allusions à George Soros, dont les activités philanthropiques en Bulgarie sont pourtant quasi inexistantes depuis l’adhésion du pays à l’UE en 2007.

 

Réaction des organisations de la société civile

L’intensification des attaques ces dernières années a eu un effet délétère sur le travail des OSC en Bulgarie, en créant un climat d’intimidation et en faisant basculer l’opinion publique contre le financement étranger transparent et contre le rôle des OSC dans les processus décisionnels.

Fin 2024, la société civile bulgare a commencé à se mobiliser sous la forme d’une coalition informelle pour faire face à la montée des menaces contre l’espace civique. Les premières initiatives cruciales ont consisté à renforcer la compréhension de la nature des menaces, en s’appuyant sur des experts de Hongrie et de Géorgie ayant déjà vécu ce type de dérives, et à associer à leurs efforts des représentants du monde économique conscients que la dégradation de l’espace civique constitue un problème pour l’ensemble de la société. Ainsi, la proposition de loi FARA de septembre 2024 a suscité des dizaines de réactions négatives au Parlement, y compris une pétition signée par plus de 2000 personnes et organisations, ainsi qu’une prise de position défavorable de l’une des plus grandes associations d’entreprises du pays.

Depuis lors, la coalition informelle poursuit son action contre les mesures législatives répressives, notamment en menant des campagnes positives sur le rôle et les réussites des OSBL et en valorisant les pratiques de transparence déjà en place dans le secteur.

Article issu du site de l’EFA, rédigé par Zahari Iankov et traduit en français par Pauline Hery, chargée de plaidoyer chez France générosités.

France générosités et l’Association françaises des Fundraisers sont membres de l’EFA pour la France. France générosités pilote le groupe dédié aux affaires publiques.


Lire l’article “Le rétrécissement de l’espace civique en Europe – Regard sur l’Allemagne #4”

escalier de couleur inversé