escalier de couleur

Le rétrécissement de l’espace civique en Europe – Regard sur l’Allemagne #4

Publié le 10.06.2025

L’organisation européenne European Fundraising Association (EFA) publie une série d’articles « Spotlight on civic space » qui explore la tendance et l’impact du rétrécissement de l’espace civique à travers l’Europe, ainsi que ses conséquences sur la générosité et la réponse du secteur associatif et fondatif à ces défis. Dans ce quatrième article, Martin Georgi, Président de la German Fundraising Association, revient sur le récent changement d'attitude du pays et ses conséquences, ainsi que sur la résilience de la société civile allemande, malgré un rétrécissement progressif de l'espace civique.

L’Allemagne a développé une société civile dynamique et active. Elle se considère aujourd’hui comme un des pays promoteurs de la démocratie et des droits civils dans ses frontières et à l’étranger. Cette dynamique trouve ses racines dans un consensus fort qui s’est formé après la Seconde Guerre Mondiale contre le fascisme, pour une société ouverte, une intégration européenne réussie et une société civile bien financée.

Regard sur l’Allemagne : un pays en pleine mutation

Ces dernières années, cependant, ce consensus s’est affaibli. La conscience historique du nazisme a diminué et la frustration face aux avantages perçus comme inégaux de l’intégration européenne s’est accrue. La tradition d’ouverture de l’Allemagne envers le commerce et les réfugiés est de plus en plus remise en question, non seulement par l’Alternative für Deutschland (AfD), parti d’extrême droite, mais aussi par les partis traditionnels de centre-droit qui prônent des contrôles plus stricts de l’immigration et des restrictions à l’égard des organisations de la société civile.

Malgré cette évolution, la société civile allemande demeure importante et influente. L’Allemagne compte plus de 600 000 associations immatriculées, auxquelles s’ajoutent des dizaines de milliers de fondations, de syndicats, de groupes religieux et d’initiatives informelles. De nombreux secteurs, notamment les services sociaux, la protection de l’environnement, l’éducation, l’aide aux migrants et la défense de la démocratie, dépendent de l’engagement bénévole. Selon l’enquête sur le bénévolat 2019/2021, 40 % des adultes s’engagent dans une forme de bénévolat.

De nouvelles formes d’engagement ont vu le jour, telles que les campagnes en ligne et les mouvements décentralisés, avec une participation croissante des jeunes, en particulier sur des questions telles que la justice climatique, le racisme et les inégalités sociales. Néanmoins, de nombreuses organisations établies ont du mal à attirer des bénévoles à long terme. Les postes de direction restent disproportionnellement occupés par des hommes blancs, malgré la participation croissante des femmes et des personnes issues de l’immigration.

Réduction progressive de l’espace civique

Par rapport à certains pays européens, l’Allemagne ne connaît pas de répression généralisée de la société civile. Cependant, l’évolution récente montre un rétrécissement progressif de l’espace civique. Certaines formes d’activisme climatique et antifasciste ont été criminalisées ou restreintes, et l’hostilité du public, en particulier de l’extrême droite, s’est accrue. Des militants ont été victimes de menaces et d’agressions ; plusieurs élus de petites villes ont démissionné après avoir reçu des menaces de mort.

Sur le plan juridique, des organisations militantes telles que Attac et Campact ont perdu leur statut d’organisme caritatif parce que leurs activités ont été jugées « trop politiques » par les autorités fiscales. En Allemagne, c’est l’administration fiscale qui détermine ce qui est politiquement acceptable pour bénéficier d’une exonération fiscale. Cette incertitude juridique a eu un effet dissuasif, en particulier pour les organisations travaillant avec ou organisées par des migrants, ou celles qui traitent de sujets politiquement sensibles. Si le nombre d’organisations concernées reste faible, l’impact global s’est traduit par un climat de prudence et, parfois, d’autocensure.

Attentes vis-à-vis de la nouvelle alliance entre sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates

Ces dernières années, on espérait que la coalition entre sociaux-démocrates, verts et libéraux (2021-2024) moderniserait la législation sur les organisations à but non lucratif et protégerait mieux la société civile. Malheureusement, d’autres questions politiques ont dominé l’agenda et cette modernisation n’a pas eu lieu. Après l’effondrement de la coalition et juste avant les élections fédérales de 2025, les chrétiens-démocrates (CDU) ont voté pour la première fois aux côtés de l’AfD sur plusieurs motions parlementaires visant à limiter l’immigration. Lorsque plusieurs ONG se sont jointes aux protestations publiques contre ce qui était craint comme une coopération avec l’extrême droite, la CDU a riposté en lançant une enquête parlementaire sur le statut juridique et l’exonération fiscale de 20 organisations de la société civile, soumettant plus de 550 questions officielles au gouvernement fédéral.

Dans ce contexte, il semble peu probable que la nouvelle alliance entre sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates puisse proposer plus que quelques réformes limitées, et les organisations continueront probablement à lutter contre la réduction de leur espace de liberté dans les années à venir.

Des défis de grande envergure

Les défis vont au-delà du statut fiscal et juridique. La question d’un financement stable et de long terme devient de plus en plus urgente. De nombreuses organisations récentes ou dirigées par des migrants ont des difficultés à accéder aux financements institutionnels ou philanthropiques. La dépendance à l’égard de subventions à court terme pour des projets limite la planification stratégique et entrave le développement de structures durables. Les exigences administratives lourdes et fastidieuses pour les demandes de subventions constituent une charge particulièrement lourde pour les petites organisations, tout comme l’enregistrement excessivement compliqué dans divers registres publics.

L’enjeu est de savoir si la société civile réduira ses activités politiques face à la pression ou si elle s’adaptera, collaborera plus largement et innovera en matière de communication et de collecte de fonds. Les comparaisons internationales, notamment avec de récentes drastiques expériences aux États-Unis, montrent que le financement des activités fondamentales et à long terme – et pas seulement de projets – ainsi qu’une diversification des sources de financement sont essentiels à la résilience.

La German Fundraising Association s’engage à soutenir une société civile forte et politiquement indépendante. En collaboration avec ses partenaires, elle plaide en faveur de conditions juridiques transparentes et équitables et de cadres financiers plus solides. L’un de ses principaux objectifs est de renforcer les capacités des organisations, en particulier les plus jeunes et les plus marginalisées, grâce à une collecte de fonds professionnelle et durable.

Article issu du site de l’EFA, rédigé par Martin Georgi et traduit en français par Pauline Hery, chargée de plaidoyer chez France générosités.

France générosités et l’Association françaises des Fundraisers sont membres de l’EFA pour la France. France générosités pilote le groupe dédié aux affaires publiques.

 


Lire l’article “Le rétrécissement de l’espace civique en Europe – Regard sur l’Italie #3”

escalier de couleur inversé