La place du digital au sein des OSBL – témoignages Fondation Apprentis d’Auteuil et UNICEF France – 2025
La place du digital au sein des OSBL – témoignages Fondation Apprentis d’Auteuil et UNICEF France – 2025
Publié le 26 novembre 2025
La générosité fait face à une accélération sans précédent des transformations digitales, remodelant non seulement les outils et les canaux d’acquisition, mais exigeant surtout une profonde introspection organisationnelle. Lors du colloque France générosités du 25 novembre 2025, une table ronde essentielle s’est tenue sur le thème de « La place du digital dans les organisations », posant une question fondamentale : « Et si faire la révolution digitale était une histoire de réorganisation ? ».
En introduction, Arthur Millet, directeur général de l’Alliance Digitale (partenaire de France générosités) a présenté les apprentissages de leur étude sur « l’impact des transformations digitales sur les organisations ».
Animée par Alice El Khoury, cheffe de projet en transformation pour la Fondation Raoul Follereau, cette discussion a offert aux professionnels du secteur des clés stratégiques pour intégrer efficacement le numérique, avec retours d’expérience concrets de l’UNICEF France et de la Fondation Apprentis d’Auteuil.

1. Le digital comme moteur de la transversalité
La première partie de la table ronde a permis de dresser un portrait des cultures organisationnelles initiales au sein des grandes structures d’intérêt général. Marie-Charlotte Brun, directrice marketing et développement de l’UNICEF France, a notamment souligné le paradoxe de leur fonctionnement : une structure capable d’une « très grande maturité organisationnelle et une redoutable efficacité en cas d’urgences (capacité de mobilisation, d’agilité, de prise de décision rapide face à l’urgence) ». Cependant, cette agilité conjoncturelle coexiste avec des « plus fortes rigidités sur des sujets plus structurants ».
Ce contexte actuel, marqué par les incertitudes et les crises récurrentes, contraint ces organisations à adopter ce mode de fonctionnement agile non plus seulement en situation d’urgence, mais dans le quotidien, ce qui rend la transversalité de plus en plus prégnante. Les campagnes marketing sont désormais conçues comme des campagnes 360, mixtes et hybrides, nécessitant de parler d’une seule voix.
Pour l’UNICEF, le digital, historiquement perçu comme un simple support de communication ou un canal complémentaire (au street marketing ou au mailing), a vu son rôle évolué. Pierre Malpel, responsable service digital à l’UNICEF France, a illustré cette mutation par des chiffres éloquents : « Il y a 5 ans le digital représentait environ 15% des dons ponctuels auprès des particuliers, près de 60% aujourd’hui ». Ce changement a nécessité une réorganisation en 2023 pour élever le digital à un niveau plus transverse, lui conférant un rôle de conseil pour accompagner l’ensemble des métiers dans leurs développements.
De son côté, Apprentis d’Auteuil a dû se saisir du numérique durant et après la crise du COVID-19, avec notamment la création d’un Comité de pilotage Digital National. Le défi principal, accentué par leur présence en réseau et leur taille (plus de 8 200 salariés et 1 500 bénévoles), réside dans l’accompagnement au changement. Christian Wintenberger, directeur Marketing et Études, a ainsi rappelé que : « Notre taille rend compliqués l’accompagnement au changement et sa mise en oeuvre ».
2. Le choix des modèles de schémas organisationnels avec le digital
Les constats motivant une refonte des schémas organisationnels sont multiples : l’hyper technicité croissante des métiers, la rapidité d’apparition des solutions technologiques, et le besoin d’arbitrer entre internalisation et externalisation.
L’intervention d’Arthur Millet, directeur général de l’Alliance Digitale, a permis de poser un cadre théorique sur « l’impact des transformations digitales des organisations ». Cela étant, le travail réalisé par l’Alliance Digitale donne des clés pour les organisations qui s’interrogent sur la manière de développer des outils, des pratiques et une culture digitale.
Ces clés s’articulent autour de trois schémas principaux pour positionner la fonction digitale au sein des organisations : Stand Alone, Inside Other et Digital Inside.

L’approche « Stand Alone » : Autonomie et Influence (UNICEF France)
L’UNICEF France a opté pour un modèle qui s’apparente le plus au « Stand Alone ». Ce modèle implique que le service digital soit à la fois
- un service support (répondant aux demandes de campagnes et de projets digitaux de l’ensemble des directions),
- un service accompagnant et promoteur (diffusant la culture digitale, les pratiques et les réflexes marketing),
- et enfin un service expert et leader.
Le service digital, rattaché à la Direction Marketing et Développement, est structuré pour soutenir, conseiller et accompagner les autres directions (Communication, Programmes et Plaidoyer, etc.) tout en ayant une influence sur la Direction Générale concernant la stratégie, la digitalisation et la transformation.

Pierre Malpel a précisé la nuance de ce positionnement : bien que le Stand Alone puisse suggérer l’isolement, le digital est en réalité « à la croisée de tous les chemins ». Pour que les campagnes performent, l’intégration du digital avec la partie Data est cruciale, notamment pour améliorer les stratégies de ciblage et de personnalisation par l’exploitation des sources de données comportementales et CRM.
L’approche hybride des Apprentis d’Auteuil
Si, au niveau macro, Apprentis d’Auteuil se situe plutôt dans un schéma « Stand Alone » avec la création de la DSIN (Direction des Systèmes d’Information et du Numérique) dont le directeur siège au COMEX depuis 2024, la réorganisation de leur service marketing illustre le modèle « Digital Inside » (schéma 3).
Apprentis d’Auteuil avait initialement deux équipes marketing (une offline et une online), peinant à trouver une synergie. Pour répondre au souhait des équipes offline de piloter des campagnes 360 et améliorer l’employabilité, la direction a créé un pôle marketing unique. Ce nouveau pôle est composé de chargés de collecte 360, directement appuyés par un expert digital. Cette fusion vise à créer des « intra synergies » et à intégrer le digital au cœur de chaque stratégie de collecte.

3. Les défis de la transformation : Data, agilité et conduite du changement
Les deux organisations ont identifié des défis majeurs pour pérenniser leur transformation.
L’un des enjeux centraux est la transformation de la data. Pour Apprentis d’Auteuil, l’objectif est d’agréger l’ensemble de leurs nombreuses données issues de différents outils métiers (projet macro de data vision). Cependant, cette centralisation, notamment via le recrutement d’un ingénieur data et d’un data manager, risque de s’accompagner d’une résistance au changement car elle implique d’exposer et de partager la donnée. Christian Wintenberger a insisté sur la nécessité de la qualité : « La fiabilisation de la data reste un enjeu majeur. Si la data n’est pas fiable à 100%, elle n’est pas exploitable ».
Pour l’UNICEF France, les enjeux futurs se concentrent sur quatre piliers :
- Un enjeu d’agilité : cette culture/ base agile (venant de l’aspect urgentiste) doit s’inscrire et s’élargir dans un cadre plus global, pour gagner en simplicité dans le cadre de la gestion de projet (et rejoindre les méthodes agiles)
- Un enjeu d’acculturation, de formation et d’intégration de l’impact du numérique (notamment IA) : au-delà des acquis depuis 3 ans, nécessité d’aller un cran plus loin, tout en restant sur un équilibre avec une expertise conservée chez les collaborateurs dont c’est le métier, mais d’intégrer ce vernis, cette culture et les outils nécessaires pour accompagner la transformation de l’activité
- Un enjeu organisationnel dans un contexte d’hyper technicité accrue des métiers liés au digital, des liens étroits notamment SI et data etc… Par ailleurs, nous devons réaliser une mesure d’impact sur les métiers
- Des enjeux de conduite du changement : le digital continue de transformer en profondeur les approches, la lecture de nos investissements, de nos performances, les activités internes (réflexes traditionnels). Un enjeu d’accompagnement des collaborateurs, du management, de nos administrateurs, et de nos parties prenantes internes.

Conclusion : Le Cadre Rassurant du Changement
En conclusion, Alice El Khoury a synthétisé les multiples facettes de la transformation digitale. Elle a rappelé que l’ancienne structure organisationnelle qui tenait dix ans ne tiendra désormais que trois ans, imposant de trouver des systèmes et des méthodes de renouvellement constants.
Elle a résumé les différents leviers de progression évoqués par les intervenants : « Il y a beaucoup de fils différents qu’on peut tirer pour faire progresser la transformation digitale – que ce soit un besoin de modernisation des systèmes, un besoin de transversalité, un besoin de pilotage par la donnée et une recherche d’efficacité ou encore un enjeu d’employabilité et de mobilisation des équipes ».
L’animatrice a partagé deux conseils essentiels tirés de ses expériences pour celles et ceux qui organisent des transformations.
- Le premier est l’importance du cadre pour avancer sereinement, impliquant de réfléchir à plusieurs, de mélanger les points de vue, d’établir une coordination régulière et de définir des priorités claires.
- Le second conseil incite à l’humilité et à l’expérimentation dans un domaine en constante évolution : « Il n’y a pas qu’une seule bonne réponse à nos questions. Il ne faut pas attendre la méthode parfaite et surtout accepter de se tromper et de s’inspirer de ce que font les autres (bien ou moins bien) en s’interrogeant sur ce qui peut correspondre à notre organisation et ce qui marchera pour nous selon chaque contexte spécifique ».
Les professionnels de la générosité, confrontés à l’accélération numérique, sont donc invités à considérer la réorganisation non pas comme une contrainte, mais comme l’outil agile permettant au digital de passer du statut de support technique à celui de moteur stratégique, tout en acceptant que, sur ces enjeux, nous sommes tous en train de baliser le chemin.