Débat : Le donateur digital existe-t-il ?
Débat : Le donateur digital existe-t-il ?
Publié le 26 novembre 2025
Le 25 novembre 2025, le colloque annuel de France générosités a ouvert ses portes avec une question au cœur des stratégies de collecte de fonds « Quelle est la place du digital dans les parcours donateurs ? ». Décryptage des apprentissages avec 3 organisations : Wikimédia France, Médecins du Monde et Planète Enfants & Développement.
« Nous ne devrions plus parler de marketing digital, mais de marketing dans un monde digital » selon Keith Weed, ex-directeur marketing d’Unilever. Cette phrase résume bien le constat actuel : le digital n’est plus un canal isolé, mais il représente l’environnement dans lequel toutes les actions s’inscrivent. Alors, comment s’adapter ? La frontière entre un donateur « offline » et un donateur « online » a-t-elle encore un sens ? Le digital est-il avant tout un canal transactionnel, ou un levier de conversation et d’engagement ? Faut-il viser une collecte 100 % digitale, et si oui, à quel horizon ?
Animée par Corentin Hue, responsable digital et développement de France générosités, cette table ronde a permis d’adresser ces questionnements à trois professionnelles de la collecte, issues d’organisations très différentes :
- Alejandra Reyes, responsable collecte de fonds, Wikimédia France
- Brigitte Arrouays, responsable collecte grand public, Médecins du Monde
- Sylvie Morin-Miot, responsable collecte de fonds et communication, Planète Enfants & Développement
Au sommaire de ce décryptage :
- Pluralité de stratégies digitales liées à l’histoire et au positionnement des organisations
- Comment arbitrer entre les canaux de collecte offline VS online ?
- Le digital est-il un canal purement transactionnel ou un canal conversationnel ?
- A quand une collecte 100 % digitale ?
- Comment votre organisation évolue-t-elle face à l’accélération des transformations digitales ?
- Conclusion
1. Pluralité des stratégies digitales liées à l’histoire et au positionnement des organisations
Wikimédia France, qui a vu le jour au moment du boom de l’internet dans les années 2000, est une organisation « digitale native », leur collecte est naturellement née en ligne. Et Alejandra Reyes explique que, malgré un projet plus connu que l’association, la collecte en ligne est leur principale source de financement. Le profil des donateurs est singulier : ils sont souvent « très proches de l’informatique, de la technologie ou de l’enseignement » et « défendent les valeurs de partage et de collaboration » de l’open web. Cela étant, Alejandra Reyes souligne que, même très digitalisés, ces donateurs sont « particulièrement attentives au partage de leurs données personnelles ».
Médecins du Monde, grande organisation historique, a fait le choix stratégique de développer en priorité sa collecte par prélèvements automatiques (PA) depuis plus de 20 ans, assurant une source régulière de financement à long terme. Cependant, le digital s’avère crucial pour la partie des dons ponctuels, notamment pour la mobilisation en cas d’urgences humanitaires internationales. Brigitte Arrouays indique que les dons digitaux sont « en forte augmentation en ces périodes d’urgences humanitaires internationales ‘chroniques' ».
Planète Enfants & Développement (PE&D) incarne la réalité des plus petites organisations de solidarité internationale. Avec un budget annuel d’environ 4 millions d’euros, l’ONG issue d’une fusion en 2016 doit se développer avec de fortes contraintes : « une très faible notoriété grand public », un secteur « très concurrentiel » (protection de l’enfance), « une petite équipe » et « une capacité d’investissement en collecte/communication très limitée ». Leur modèle repose sur un socle historique (55 % de fonds publics, 45 % de fonds privés), mais l’objectif est de doubler la collecte et d’augmenter les fonds non affectés. Pour Sylvie Morin-Miot, l’ancrage local et les relations interpersonnelles restent centraux.

2. Comment arbitrer entre les canaux de collecte offline VS online ?
L’arbitrage entre la collecte offline (méthodes traditionnelles d’acquisition comme le mailing papier, le télémarketing ou le face-à-face) et la collecte online est devenu une nécessité stratégique.
Chez Médecins du Monde (MDM), la stratégie a évolué en fonction des comportements générationnels des cibles. Brigitte Arrouays explique que MDM continue le mailing pour la « fidélisation offline “classique” de nos donateurs “anciens” », tout en ayant « revisité nos messages papier » pour les cinquantenaires (souvent digitaux) et même en les supprimant pour les plus jeunes. Le choix fort de MDM : cette adaptation est générationnelle, basée sur les comportements des donateurs. MDM a ainsi choisi « d’abandonner de recruter en print et de nous concentrer sur des nouveaux donateurs pour le futur et donc des profils digitaux ».
Malgré sa culture digitale, Wikimédia France s’interroge sur l’intégration de l’offline. Alejandra Reyes confie que par le passé, le choix du digital relevait de la « praticité en tant que petite équipe ». L’association recherche un ROI à court terme, ce qui est « beaucoup plus facile avec le digital » comparé au offline, qui exige un investissement plus lourd et offre un ROI à 3-5 ans.
Cependant, l’association cherche désormais à diversifier son approche pour pérenniser la relation, posant la question : « comment l’offline peut nous aider à nous rapprocher de notre public ? ».
Face à des budgets limités, Planète Enfants & Développement doit faire des choix contraints. Sylvie Morin-Miot témoigne que les tests d’acquisition digitale n’ont pas été concluants en l’absence d’une forte notoriété, notamment face à des géants du secteur. L’organisation a trouvé son avantage concurrentiel dans l’utilisation de « leviers qui permettent la discussion directe, pour lever les freins et instaurer la confiance ». Le Face-à-Face (F2F) est un « modèle éprouvé avec un risque limité » qui permet de recruter des donateurs en prélèvement automatique (PA), garantissant un investissement initial en année N qui perdure plusieurs années. Plus de 60 % de leurs « petits » donateurs sont en PA. De plus, l’organisation mise sur les événements pour recruter les moyens et grands donateurs, car cela « déclenche la discussion, montre ce que l’on sait faire et instaure la confiance ». Leur dispositif digital est réduit au « minimum vital », servant non pas à l’acquisition de volume, mais de support dans le parcours global du donateur (site, formulaires, réseaux sociaux).
3. Le digital est-il un canal purement transactionnel ou un canal conversationnel ?
Pour Wikimédia France, la réponse est tranchée. Alejandra Reyes affirme que le digital est « un canal 100 % conversationnel ». Pour eux, le don lui-même est considéré comme une conversation. L’objectif est de dialoguer avec la personne à travers tous les contenus, y compris les formulaires de don et les pages web, en anticipant les questions et en utilisant des éléments de réassurance pour construire la confiance. La conversation ne s’arrête pas à la transaction : « une fois que la personne à fait son don, on continue la conversation ». Cette approche suit l’évolution des générations qui utilisent le digital pour leurs relations avec les marques et les associations.
Planète Enfants & Développement utilise le digital non comme un point de départ pour l’acquisition, mais comme un maillon de soutien et de réassurance. Sylvie Morin-Miot explique que leur présence digitale sert à « dynamiser notre image, montrer notre professionnalisme, rendre des comptes, rassurer ». L’organisation ne raisonne plus en termes de donateur offline ou online, mais s’attache à « tenter de parler au donateur là où il se trouve ». Le digital est proposé dans le parcours, notamment pour convertir des donateurs rencontrés lors d’événements physiques.
Chez Médecins du Monde, le digital est intégré dans le concept de « Marketing dans un monde digital ». Brigitte Arrouays confirme que l’organisation ne limite pas sa présence à la transaction, mais construit des parcours d’engagement. Si le contact réel (street marketing, rencontres directes) reste important, les plus jeunes sont particulièrement attirés par le « côté communautaire ou militant des réseaux sociaux ».
En conclusion de cette séquence, Corentin Hue a synthétisé que le digital « n’est ni purement transactionnel, ni uniquement conversationnel. Il est ce que chaque organisation en fait, en fonction de ses valeurs, de ses contraintes et de ses publics ». Le véritable enjeu est « d’articuler, pour parler à chaque donateur là où il est, et comme il le souhaite ».
4. A quand une collecte 100 % digitale ?
La table ronde a soulevé la question de l’horizon d’une collecte intégralement numérique. Le consensus général, renforcé par le vote du public, penche vers un futur hybride.
Brigitte Arrouays de Médecins du Monde a exprimé une conviction forte : « Non, il n’y ayra jamais une collecte 100 % digitale, ce n’est pas encore la mort du street ». Le digital dominera pour le marketing de masse, mais « ne prendra pas la place sur le contact one to one : street, rencontre grand do, événements… ». Elle exprime l’espoir que « le contact humain restera présent ».
Alejandra Reyes de Wikimédia France partage cette prudence. Bien que le digital soit indispensable pour atteindre des milliers de personnes, elle insiste : « c’est compliqué de parler d’une collecte 100 % digitale, parce qu’on a besoin de relations humaines, de rencontrer les gens ». La pandémie a d’ailleurs rappelé ce « besoin de se retrouver ». Néanmoins, l’évolution rapide, notamment avec l’intelligence artificielle, oblige les fundraisers à se transformer et à relever le défi.
Sylvie Morin-Miot de Planète Enfants & Développement, a refusé de spéculer, rappelant l’incertitude liée à l’évolution de l’IA et des comportements donateurs dans les cinq prochaines années. Pour les petites structures, l’agilité prime : la stratégie évoluera « en fonction des comportements des donateurs et non-donateurs, des publics visés, en fonction de l’évolution de la rentabilité des canaux ».

5. Comment votre organisation évolue-t-elle face à l’accélération des transformations digitales ?
Pour Planète Enfants & Développement, l’enjeu principal est la « mise à l’échelle pour être plus solide ». Sylvie Morin-Miot explique que la réflexion n’est pas centrée sur le digital comme un « graal » mais comme un outil pour être plus efficaces (avec une utilisation de l’IA maîtrisée par exemple). L’ONG explore d’autres canaux comme la vente de service ou la réponse à des appels à projets en consortium. La clé pour les petites structures est de trouver « le canal qui correspond à la taille et à la capacité de la structure ». Sylvie Morin-Miot conclut qu’il faut « savoir revoir son logiciel en fonction des réalités de son organisation ».
Wikimédia France, malgré son ADN digital, est confrontée au besoin croissant de profils techniques spécialisés. Alejandra Reyes note la difficulté pour une petite structure, souvent dotée d’un profil « multitâche », de suivre le rythme des spécialités émergentes dans la collecte digitale. Une solution envisagée est la mutualisation des coûts et des expertises « avec d’autres structures ». De plus, la transformation digitale pousse à la croissance, ce qui exige plus de ressources. La direction de Wikimédia France, consciente du changement, est prête à relever le défi et la prochaine étape sera « d’investir dans la collecte digitale pour découvrir son véritable potentiel ».
Médecins du Monde a déjà initié la transformation en accompagnant ses équipes vers une approche 360°. Cependant, avec la technicité accrue, Brigitte Arrouays confirme que « l’appel à des compétences externes s’impose souvent (agence, expert…) ». L’évolution est constante, d’autant plus que « la révolution IA (…) va remettre tout en cause », citant l’exemple de l’évolution du SEA.
Conclusion : « le donateur est un individu, le digital un environnement »
En conclusion de cette table ronde, il en ressort que : « Non, le donateur digital n’existe pas en tant que catégorie figée. Ce qui existe, ce sont des donateurs que le digital permet de rencontrer différemment, mais rarement de manière exclusive ». Le digital est un environnement, pas une fin en soi. La collecte de demain, comme l’ont démontré les trois intervenantes, reposera sur quatre principes fondamentaux :
- Le digital comme évolution, pas une révolution : Il transforme les pratiques, qu’il s’agisse de créer un espace de conversation permanent (Wikimédia), un maillon complémentaire au parcours (PE&D), ou un levier stratégique de marketing de masse et d’engagement (MDM).
- L’humain est le cœur de la relation : Le contact direct (street marketing, événements) est irremplaçable pour l’engagement profond. Le digital accompagne la relation voire l’amplifie, mais ne la remplace pas. Il faut, comme l’a précisé Sylvie Morin-Miot, « parler au donateur là où il se trouve ».
- L’adaptation passe par les compétences et les alliances : Face à l’accélération des transformations digitales, les organisations doivent se former (MDM), ou envisager la mutualisation des expertises (Wikimédia) pour trouver des canaux adaptés à leur taille (PE&D).
- Le futur est hybride : La collecte ne sera jamais 100 % digitale. Le défi pour les professionnels est d’« articuler avec efficience » le offline et le online dans les parcours d’engagement.

« Le parcours du donateur en 2025 s’apparente à une rivière complexe : le digital est l’eau omniprésente dans laquelle nous naviguons, mais les rives solides de la confiance et de l’humain (le F2F, les événements) sont nécessaires pour guider le flux et assurer la pérennité de l’engagement. Il ne s’agit pas d’opposer les éléments, mais de construire des ponts stratégiques entre eux. » Corentin Hue, responsable digital et développement chez France générosités