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La solidarité au 21ème siècle n’est plus une option !

Publié le 06.11.2019

A l’occasion du Colloque de France générosités, le 10 octobre dernier, Nicolas Hulot nous a fait l’amitié d’ouvrir l’évènement avec un discours positif et mobilisateur sur l’importance de la solidarité et de la générosité. Vous retrouverez son discours retranscris ci-dessous et la « version audio ».

 

J’avoue que par moments dans notre combat des tentations de céder au désespoir sont grandes, les tentations de confondre deux humanités sont grandes aussi.

Mais  il faut y résister. Parce que oui il y a deux humanités : il y a une humanité, peut-être la plus visible sans scrupule et qui parfois pourrait nous donner le sentiment qu’elle est majoritaire. C’est une humanité qui est là pour accaparer le bien commun.

Et puis il y a une humanité dont vous faites partie et vous pouvez en être fier. Elle travaille pour le bien commun. Et c’est celle-là, vers celle-là qu’il faut se tourner. C’est celle-là qu’il faut écouter et qu’il faut entendre. Elle se bat au quotidien, pour essayer d’honorer les promesses souvent non tenues de la République : les promesses d’égalité, de solidarité. C’est une société discrète sans quête de reconnaissance mais qui comble les vides, qui crée, qui maintient, qui entretient, qui développe ce lien social si important.

 

La générosité, qui nous réunit aujourd’hui, est un outil au service de valeurs, à commencer par une valeur cardinale, qui devra de gré ou de force être le fil guide du 21ème siècle, la solidarité. Le 21ème siècle, chacun le sent dans sa chair, sera solidaire ou ne sera pas. Cette société de l’ombre, entre 13 et 20 millions de bénévoles en France, qui partout, entretient la solidarité de proximité mais aussi la solidarité à distance. C’est cette France-là, cette société-là que vous représentez qui me maintient, je dirais en vie. Dans ces moments où nous sommes tous traversés par une forme de doute, il faut garder à l’esprit que cette société-là, ces artisans de la solidarité du lien social, est beaucoup plus nombreuse qu’on l’imagine et c’est pour elle qu’il ne faut jamais baisser les bras.

Effectivement, Pierre [Siquier, Président de France générosités] le disait tout à l’heure, comme cette société n’a pas forcément un visage bien identifié, elle a tendance à être ignorée notamment des pouvoirs publics. Ce serait, dans le contexte de délitement actuel, une erreur majeure que de l’affaiblir, de l’affaiblir à un moment où le mécénat, au sens originel du terme, a tendance lui-même à être fragilisé. J’en fais l’expérience dans ma propre fondation. Il y a 30 ans quand nous avons démarré il existait  un vrai mécénat, sans contrepartie, simplement que de donner des moyens à l’intérêt général. Aujourd’hui c’est franchement beaucoup plus difficile de le rencontrer.  Et que pour un euro donné les nouveaux mécènes attendent un euro en retour. Mais ce n’est plus du mécénat, c’est du sponsoring.

 

L’Etat qui devrait se réjouir que nous fassions quelque part des missions de service public que la République ne tient plus, devrait nous encourager et ne pas fragiliser la générosité qui est un levier essentiel.

 

Je suis, malheureusement, bien placé pour voir combien de coups nous prenons depuis quelque temps. La fin de la réserve parlementaire, par exemple, qui permettait aux députés en région d’aider directement des associations, la réforme de l’ISF. Et puis cette nouvelle réforme qui se profile et qui regarde cette générosité comme une vulgaire niche fiscale,avec, je trouve, une audace qui n’est pas loin d’être une forme d’ignorance. Faire cela, c’est ignorer une forme de réalité. Tout ce qui fragilise les outils, les moyens, la volonté de faire vivre cet impératif de solidarité au 21ème siècle est un contre sens de l’histoire.

 

Pourquoi suis-je  intimement convaincu qu’il s’agit un contre sens de l’histoire ?

 

Parce que la solidarité au 21ème siècle n’est plus une option. Quelle que soit sa forme, quel que soit son visage, quelle que soit son échelle parce qu’il n’y a pas de petite échelle dans la solidarité  La solidarité est une condition si l’on veut maintenir, garantir et faire durer tout ce qui a de l’importance à nos yeux, tout ce dont nous avons hérité sans forcément nous être battus pour l’obtenir, des acquis civilisationnel et démocratique.

Et pourquoi est-ce que je considère que ce n’est pas une option et que c’est un impératif ? Tout simplement parce que la solidarité a changé de substrat. Elle s’est déplacée d’un substrat purement, dogmatique, idéologique ou de valeurs à une sorte de loi physique qui nous tombe dessus en début de 21ème siècle. Je vais essayer de m’expliquer mais pour moi c’est très important et je pense que c’est une lecture que peut-être certains n’ont pas encore gardé à l’esprit.

Que s’est-il passé depuis quelques décennies dans notre univers ? Le monde s’est connecté avec une brutalité et une efficacité absolument inouïe. Par ce que l’on appelle la mondialisation, ce faux espoir qui nous a fait croire que nous allions partager, échanger, coopérer.

Et puis le monde s’est connecté par une prouesse technologique qui fait qu’il n’y a plus un endroit dans le monde aussi éloigné soit-il qu’il n’ait pas une fenêtre sur le reste du monde. Mais si  le monde s’est connecté il a oublié l’essentiel pour l’instant : il ne s’est pas relié.

 

On aurait pu imaginer que nous allions pouvoir à minima réduire les inégalités quelles qu’elles soient : pas simplement les inégalités économiques mais aussi les inégalités d’espérance de vie, les inégalités d’accès à l’éducation, aux soins. Car chacun sait qu’aujourd’hui le déterminisme qui nous constitue vaut pour 40% de l’endroit où vous naissez, pour 40% de la famille dans laquelle vous êtes né et seulement pour 20 % pour votre mérite personnel.

 

Mais tant que ça ne se sait pas. Tant qu’une femme en Afrique, mais pardon je pourrais prendre un exemple dans notre territoire, ignore que son enfant va mourir d’une maladie dont on a le remède ailleurs. Elle met ça sur le compte de la fatalité et elle s’incline. Même si ça n’enlève rien à son chagrin. Mais lorsqu’elle découvre on a été capable d’emmener dans son village une bouteille de Coca cola mais pas un traitement anti-paludéen, vous ajoutez à l’exclusion un élément explosif qui est l’humiliation.

 

C’est ça qui change la donne au 21ème siècle :  tout se voit et tout se sait. Les exclus ont vu sur les inclus. Et cette humiliation est insupportable et incompatible avec une espérance de paix. Voilà pourquoi la solidarité qui est un principe originel de l’évolution de la vie puisque la vie a été solidaire depuis des centaines de millions d’années est essentielle.

 

Tout ce qui compromet, tout ce qui entrave, tout ce qui étouffe la solidarité est évidemment à bannir. C’est pour ça aussi que l’enjeu écologique, l’enjeu économique et l’enjeu social sont indissociables. Comment peut-on construire un modèle qui partage, si on s’accommode d’un modèle qui épuise ou d’un modèle qui concentre ?

Il y a des règles communes que nous devons établir pour faire vivre cette solidarité. Et en faisant vivre cette solidarité, comme le révélait Victor Hugo dans Les Misérables, nous ferons se développer cette vertu qui fait que « l’amour transforme le plus miséreux en héros de la vie »

 

Vous êtes tous ces héros de la vie.

 

Merci beaucoup.

 

Nicolas Hulot

 

Lien vers le discours de M. Nicolas Hulot en version audio :

Discours Nicolas Hulot du 10 octobre 2019

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