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Exposition Générosité au Canada – Interview croisée de Joanne Lacoste et Charlène Petit

Publié le 15.11.2022

"Notre connaissance des pratiques philanthropiques est peut-être limitée. Avec l’exposition "Générosité. Droit au cœur", nous voulions pallier cette méconnaissance [...]" Quelles sont les 5 formes du don mis en avant dans l’exposition ? Comment le public l'a accueillie ? Quelle fut la réaction du secteur du fundraising ? Une exposition de la même sorte en France est-elle possible ?

Pendant 1 an et jusqu’au 2 octobre 2022, le Musée de la civilisation au Québec a présenté une nouvelle exposition qui fait du bien : “Générosité. Droit au coeur”, la première exposition générosité dans le monde francophone ! Pour revenir sur cette exposition inédite avec ce sujet qui nous passionne et anime notre travail au quotidien, nous avons réalisé une interview croisée avec Joanne Lacoste, chargée de projets d’expositions du Musée de la civilisation et Charlène Petit, créatrice de FILantropio, le premier podcast francophone qui démystifie la philanthropie.

Visuel principal Exposition Générosité

 

1. Pourquoi avoir réalisé une exposition sur la générosité ?

Réponse de Joanne Lacoste : L’idée de réaliser une exposition sur le thème de la générosité a germé à la suite d’une importante donation d’objets et d’archives de la congrégation religieuse des Sœurs de la Charité de Québec au début des années 2010. Cette congrégation avait comme mission dès sa création en 1849 de s’occuper des orphelins et de l’enseignement des enfants pauvres de la ville de Québec. Au fil des années, la congrégation a diversifié son champ d’action en suivant l’évolution de la société québécoise : soins aux personnes âgées et des malades, soulagement des nécessiteux, toujours inspirée par le charisme de compassion de leur fondatrice, Mère Marcelle Mallet, et par des valeurs basées sur l’amour-charité, l’économie du don, donc du don de soi.

Le Musée de la civilisation désirait mettre en valeur cette donation, mais dans une vision plus large que l’histoire de la congrégation. Le thème des pratiques philanthropiques dans l’histoire de la société québécoise s’est imposé. En plus de faire découvrir l’évolution de la culture de générosité des Québécois, qui prend racine dans la charité chrétienne, nous voulions montrer les différentes facettes de cette culture qui est toujours en mutation, et en montrer ses spécificités.

Nous voulions déboulonner cette idée qui persiste : les Québécois seraient moins généreux que les Canadiens des autres provinces, idées basées sur des statistiques de dons d’argent. Pourtant, plusieurs sondages effectués depuis le milieu des années 2010 par l’Institut Mallet pour l’avancement de la culture philanthropique, semblent peindre un tout autre portrait de la pratique philanthropique québécoise. Le Québécois est plus philanthrope qu’il ne croit, et sa pratique philanthropique est différente des autres provinces canadiennes. Notre connaissance des pratiques philanthropiques est peut-être limitée. Avec l’exposition Générosité. Droit au cœur, nous voulions pallier cette méconnaissance, mais sans faire de nos visiteurs des spécialistes de la question.

Un des objectifs de l’exposition était d’encourager nos visiteurs à l’implication sociale et de choisir de poser des gestes concrets à la hauteur de ce qu’ils peuvent offrir. Nous voulions que les visiteurs réfléchissent sur les potentiels qu’ils portent en eux et qu’ils pourraient mettre au service de leur communauté en vue d’améliorer les conditions humaines et de faire avancer la société. Nous sommes conscients que cet objectif était audacieux, mais l’important était qu’à la suite de sa visite, le visiteur médite à son rythme sur la place et la participation qu’il a, ou pas, dans sa communauté.

Pour terminer, ce thème d’exposition s’inscrit dans la vision d’un Musée pour un monde meilleur auquel adhère le Musée de la civilisation. Depuis quelques années, le Musée s’est donné comme vision de participer et de poser des gestes afin de bâtir un monde meilleur, de susciter la rencontre de soi et de l’autre, de proposer une expérience mémorable, émouvante, qui incite à agir. C’est dans cette vision que l’exposition Générosité. Droit au cœur s’est élaborée.

visiteur dans exposition générosité

 

2. Quelles sont les 5 formes du don mis en avant dans l’exposition ?

Réponse de Joanne Lacoste : Dans le parcours de l’exposition, nous avons catégorisé les gestes philanthropiques en cinq grandes familles : Le don monétaire, l’entraide, le bénévolat, l’engagement social et le don corporel. Cela nous a aidés à sélectionner les artéfacts, archives et iconographies. Afin de s’y retrouver, nous avons défini chacun des gestes ainsi :

  • Pour le don d’argent et de biens, il existe une distance entre celui qui donne et celui qui reçoit. Ce don nécessite un intermédiaire qui redistribue le don. L’une des structures les plus connues est la fondation. On y retrouve aussi les organismes de type « ressourcerie » où on recycle et redistribue des objets gratuitement ou à un prix modique.

  • En ce qui concerne l’entraide, celle-ci est enseignée dès le plus jeune âge, et répond à un concept de don/contre-don (retour du balancier). Elle est à la base de l’évolution humaine. On a tous besoin de l’autre pour traverser notre existence, car personne ne détient toutes les connaissances et les talents pour assurer son existence.
  • Pour le bénévolat, il s’agit fréquemment de la première expérience d’engagement qui mène à d’autres formes de don de soi. Il demande une implication personnelle pendant une période déterminée au sein d’une organisation. Les raisons pour faire du bénévolat sont diverses. Selon des études, faire du bénévolat rend heureux et garde en santé. Ce bonheur prend racine dans le lien créé entre celui qui donne et celui qui reçoit, ce qui fait la valeur du bénévolat. Les passeurs sont les organismes jeunesse, l’école, etc. C’est grâce aux bénévoles que la société s’organise dans les secteurs de la santé, du sport, de la culture, etc.
  • L’engagement social, à la différence du bénévolat, se caractérise par son caractère militant et son implication sur le long terme. Il doit surmonter plusieurs défis (confiance dans les institutions, globalisation, légitimité politique) conditionnés par de perpétuels changements politiques, économiques, sociaux, environnementaux. Le citoyen est invité à s’engager dans divers secteurs afin de faire entendre la voix de sa communauté auprès des instances gouvernementales et décisionnelles afin de faire avancer la collectivité.
  • Le don corporel couvre le don de sang, d’organes et de tissus. Il est possible grâce aux avancements de la science et de la médecine. Le don d’organe soulève des questions éthiques. Il est délicat, car il est difficile d’admettre que parfois la mort peut apporter la vie. Le don est souvent consenti non pas seulement par la personne qui donne l’organe, mais par l’approbation ou la validation d’un tiers. Le donneur n’a aucun droit de regard sur le choix de ceux dont il changera l’existence dans le cas d’un don d’organe et de tissu « cadavérique » et du don de sang. On peut connaître le receveur dans le cas d’un don d’organe vivant.

 

3. Comment le public a accueilli l’exposition Générosité ?

Réponse de Joanne Lacoste : L’exposition fut bien accueillie et le thème très apprécié. La plupart ont été surpris par le traitement contemporain donné à la muséographie : couleurs vitaminées, lignes graphiques dynamiques, simplicité du design. On nous a souligné l’approche sensible des contenus. Voir des objets de la collection qui témoignent de gestes de bonté dans cette atmosphère vivante faisait du bien à l’âme !

L’exposition a eu un grand intérêt chez nos visiteurs âgés de 18 à 50 ans. Étonnamment, nous avons eu une présence assez marquée chez les jeunes adultes de 18 à 34 ans. Le sujet a attiré beaucoup de visiteurs dont il s’agissait d’une première visite au Musée de la civilisation. En revanche, nos visiteurs habituels soient les familles, les retraités ainsi que les visiteurs provenant de Québec même ont été moins présents.

Illustration dans l'exposition générosité

 

4. Quelle fut la réaction du secteur du fundraising sur cette exposition ?

Réponse de Joanne Lacoste : L’exposition Générosité. Droit au cœur a été l’occasion pour des organisations de type philanthropique de venir au Musée de la civilisation pour leurs activités privées. Nous avons la firme Épisode qui était présente à l’inauguration ainsi qu’à notre cocktail reconnaissance cet été. Ils ont adoré l’exposition. Ils étaient très fiers d’y être associés à titre de commanditaire, «sponsor» comme disent les Français. Nous avons également eux la visite de la Fondation du Musée des beaux-arts de Québec. Ils ont également trouvé l’idée et le contenu très intéressants.

Réponse de Charlène Petit : Je ne suis pas certaine que cette exposition, qui était une première dans le monde francophone, ait bénéficié de l’attention qu’elle méritait au sein du secteur dans son ensemble. Très peu de personnes en ont parlé dans mon réseau alors que celle-ci est restée à l’affiche pendant un an. Un cocktail de réseautage a été organisé en juin dernier avec les acteurs du milieu philanthropique mais c’est à peu près tout. Je vois plusieurs raisons qui pourraient expliquer ce manque de participation et de rétroaction. Tout d’abord, il y a une plus forte concentration de professionnels à Montréal qu’à Québec puisque la métropole abrite un tiers des œuvres de bienfaisance et plus de 50% des fondations de la province contre moins de 7% des œuvres de bienfaisance et des fondations dans la Capitale-Nationale. Ensuite, la barrière géographique a probablement pesé dans la balance. Il faut par exemple compter au moins 6h de voyage aller-retour entre Montréal et Québec. À moins d’avoir profité d’être sur place le temps d’un week-end ou de ses vacances, il fallait prendre une journée de travail pour y aller. Je pense qu’il y a également le syndrome du cordonnier mal chaussé qui traduit une réalité de notre secteur depuis la pandémie, à savoir une raréfaction de la main d’œuvre dans les organismes et donc une pression accrue sur les employés en place. Dans ces conditions, il devient difficile de trouver du temps pour faire sa veille, explorer son domaine ou se former.

 

5. Une exposition de la même sorte en France est-elle possible ?

Réponse de Charlène Petit : Absolument ! L’histoire de la générosité moderne en France a 50 ans. Si l’on remonte aux fondements même de la philanthropie, cela nous ramène au 15ème siècle avec la création des Hospices de Beaune, la plus ancienne fondation en France. Nous avons donc un héritage très riche de connaissances et de pratiques de don. Encore aujourd’hui, nous ne cessons d’inventer de nouvelles formes de générosité telles que le don de congés ou de RTT, ou plus récemment le don de chaleur.

Je pense que le défi réside plutôt dans la narration et la vulgarisation de notre histoire pour parvenir à en faire une exposition grand public. Condenser une culture philanthropique séculaire et protéiforme n’est pas chose aisée. En 2016, le National Philanthropic Trust a créé en ligne une Histoire de la philanthropie moderne à l’échelle mondiale sous la forme d’une chronologie de 500 ans avec environ 200 moments ou événements représentant l’évolution des dons caritatifs dans le monde. Forcé de faire des choix, le NPT a décidé de sélectionner méticuleusement chaque entrée pour son lien avec une tendance plus large dans la culture du don et de la philanthropie.

history of giving - National Philanthropic Trust

Nous avons tout ce qu’il faut en France pour faire d’un tel projet un succès : historiens, chercheurs et “vétérans” de la philanthropie tels que Arthur Gautier, Antoine Vaccaro; de grands mécènes qui ont fait de l’essor de la philanthropie leur cheval de bataille comme Philippe Journo; d’innombrables lieux susceptibles d’accueillir une exposition sur la générosité un peu partout dans l’hexagone; sans oublier un portage politique fort, notamment depuis la parution en 2020 du rapport “Philanthropie à la française” qui prône la démocratisation d’une culture de la générosité.

 

Pour aller plus loin :

Pour en savoir encore plus sur cette exposition, deux choix s’offrent à vous : 1. Rendez-vous sur le site du Musée de la Civilisation au Québec : mcq.org/fr/exposition?id=891607 2. Allez écouter le podcast de FILantropio : “Joanne Lacoste & Luc St-Amand – Musée de la civilisation de Québec – La générosité comme sujet d’exposition” : filantropio.com

 

Merci encore à Joanne Lacoste, chargée de projets d’expositions du Musée de la civilisation et Charlène Petit, créatrice de FILantropio, le premier podcast francophone qui démystifie la philanthropie, pour avoir répondu à nos questions !

Joanne Lacoste - Musée de la Civilisation

 

 


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